Hubert Reeves

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Pourquoi la nuit est-elle noire ? (1)

Émission du 4 octobre 2003

Dans une causerie précédente, j'ai mentionné le fait que la découverte de l'histoire de l'univers, la découverte du fait que l'univers a une histoire, qu'il n'a pas toujours existé, qu'il est en changement, me paraît être la découverte la plus importante, la plus significative du XXème siècle. Non seulement sur le plan scientifique lui-même, mais je dirais, sur le plan philosophique, et sur le plan de la pensée humaine en général, cette découverte a des implications qu'on n'a pas terminé d'explorer.

Eh bien cette découverte, elle nous vient, elle s'est implantée dans un contexte où, justement, depuis 2500 ans, depuis l'énoncé d'Aristote, on admettait, dans le monde scientifique en tout cas, le contraire. On admettait que l'univers a toujours existé, qu'il est inchangeant, et c'est donc au cours du XXème siècle, que par une série d'observations qui se sont succédées, sur des domaines d'observation différents, qu'est apparu le fait que cette affirmation n'était pas tenable, que l'univers n'a pas toujours existé.

On n'a pas attendu, d'ailleurs, le XXème siècle, pour que des malaises se soient faits ressentir par rapport à l'idée d'un univers éternel. Et, très curieusement, la question qui, la première je crois, a mis cette opinion en difficulté, c'est une question très simple, c'est la question : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? ». Voilà une question très simple ; très souvent, les questions très simples, quand on les creuse, nous amènent très loin, et cette question, maintenant, on a la réponse, c'est : la nuit est noire parce que l'univers n'a pas toujours existé.

Quelle relation peut-il y avoir entre ces deux faits, entre ces deux énoncés, c'est ce que je vais essayer d'expliciter maintenant.

Il faut revenir maintenant à la période de 1600, environ, quand, grâce à Copernic, à Galilée, à Kepler, à Tycho-Brahé, on decouvre que la Terre n'est pas le centre du monde, on découvre que le Soleil est une étoile, et que si le Soleil est une étoile et que les étoiles sont des soleils, le fait que les étoiles soient si faibles, comparées à la luminosité du Soleil, impose que ces étoiles soient très loin. Et on arrive à l'idée d'un univers gigantesque, un univers peut-être infini, idée qui est déjà défendue à cette époque par Giordano Bruno, qui a, le malheureux, brûlé sur la place des Fleurs (piazza di Fiori) à Rome, en 1600, pour avoir défendu l'idée que l'univers est infini.

Alors, Kepler se fait ce raisonnement : il se dit : « Supposons que l'univers est infini, supposons qu'il y a des étoiles réparties de façon uniforme jusqu'à l'infini, alors, quand je regarde le ciel, en quelque point que je regarde, je devrais voir une étoile. Bien sûr, les étoiles plus proches sont plus brillantes, les étoiles plus lointaines sont plus faibles, mais les étoiles plus lointaines occupent des espaces beaucoup plus grands, et le nombre d'étoiles à ces endroits est beaucoup plus grand, et, total, l'addition de ces étoiles devrait me donner de la voûte céleste l'image d'un tissu lumineux extraordinairement brillant ».

Une comparaison, c'est que le tissu lumineux serait comparable à celui qu'il y aurait si, dans le ciel, on juxtaposait les uns à côté des autres, des soleils avec l'intensité qu'a la surface de notre Soleil. Et cela donnerait une telle chaleur à la Terre, que la température y atteindrait des valeurs de milliers de degrés, et que, bien sûr, la vie n'aurait jamais pu s'y développer.

Donc, cette question est présente, et va traîner au long des siècles : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? ». Nous y reviendrons bientôt.