Hubert Reeves

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Émission du 18 octobre 2003

Dans cette causerie, nous reprenons notre question toujours fascinante : « Pourquoi la nuit est-elle noire », et nous en explorons toutes les implications.

Une première réponse a été donnée, déjà, dans une émission précédente : « La nuit est noire parce que l'univers n'a pas toujours existé », c'est-à-dire parce qu'il n'y a pas des étoiles depuis très longtemps, et donc la lumière de ces étoiles n'a pas eu le temps de remplir le ciel. Ça, c'est la première réponse, celle dont Edgar Allan Poe avait déjà eu l'intuition au siècle dernier.

Il y en a une seconde, qui est reliée à un phénomène qui a été observé au début du XXème siècle, ce que nous appelons « l'expansion de l'univers », c'est-à-dire le fait que les galaxies s'éloignent les unes des autres, progressivement.

Cela a été observé la première fois par l'astronome Hubble, celui qui a donné son nom au téléscope spatial, cela se passe dans les année 1920, environ, à une époque où on a, pour la première fois, des téléscopes assez puissants pour regarder les galaxies. Les galaxies sont beaucoup plus loin que les étoiles, bien sûr, et grâce à ces instruments, on peut déjà faire des observations sur ces galaxies, et en particulier, mesurer leur distance, et, aussi, mesurer leur vitesse.

Bien sûr, on a déjà une idée, Hubble pense que les galaxies, ce sera un peu comme les étoiles qui nous entourent, certaines s'approchent, certaines s'éloignent, dans un mouvement relativement aléatoire. En fait, ce n'est pas du tout ce qu'il observe. Ce qu'il observe, c'est quelque chose d'extrêmement curieux, qui va le stupéfier, qui va stupéfier les astronomes pour des années à venir, et que Hubble lui-même n'arrivera jamais à croire vraiment. Ce sont ses étudiants qui lui diront : « non, non, vous ne vous êtes pas trompé, votre résultat tient le coup, il est tout-à-fait valable ».

Ce qu'il va observer, c'est que les galaxies n'ont pas du tout un mouvement erratique ou aléatoire. Elles ont un mouvement très organisé, peut-on dire. Ce mouvement consiste en ceci : elles s'éloignent toutes de nous, à de rares exceptions près, et elles s'éloignent d'autant plus vite qu'elles sont plus loin. Et cela ne veut pas dire que nous sommes le centre du monde : tous les autres observateurs sur d'autres galaxies verraient exactement la même chose.

Alors, pour donner une image — c'est souvent commode de donner des images pour comprendre un peu ce qui se passe —, imaginez un pudding, un gâteau aux raisins. Vous mettez des raisins secs, vous mettez au four, et vous laissez l'expansion se produire sous l'effet de la chaleur. Et maintenant, par l'imagination, vous vous placez sur un raisin, et vous regardez vos collègues raisins. Vous n'aurez pas de difficultés à imaginer que vous allez voir tout-à-fait ce que Hubble a vu, c'est-à-dire que tous les raisins vont s'éloigner de vous, et vont s'éloigner d'autant plus vite qu'ils sont plus loin, ce qui veut dire que ceux qui sont près de vous s'éloignent lentement, et ceux qui sont loin de vous s'éloignent plus vite. Si ce n'est pas le cas, vous aurez des problèmes quand vous servirez votre pudding à vos invités.

C'est une assez bonne image de l'expansion de l'univers, ce mouvement des raisins sous la cuisson. C'est une image, aussi, qui contient beaucoup de défauts. Les comparaisons doivent toujours être prises avec beaucoup de soin, le pudding aux raisins a un centre, il a une surface, il s'étend dans un volume vide autour de lui, le volume du four, tous ces éléments ne s'appliquent pas à l'univers. L'univers n'a pas de centre, il n'a pas de frontières, il ne s'étend pas dans un espace préalable qui serait vide et qu'il occuperait progressivement, l'univers c'est partout la même chose. Ce sont des galaxies, des galaxies, c'est un espace homogène.

Donc voilà la constatation de Hubble, et nous reviendrons une prochaine fois sur les implications de cette constatation pour notre problème de « Pourquoi la nuit est-elle noire ».