Hubert Reeves

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Émission du 15 novembre 2003

Aujourd'hui, nous parlerons à nouveau de la théorie du « Big Bang », que j'ai commencé à décrire lors d'une précédente causerie.

J'ai mentionné que, en fondement de cette théorie, il y a l'idée d'un univers qui est en profond changement. J'ai mentionné quatre différences très importantes entre le passé lointain et aujourd'hui : l'univers, aujourd'hui, est beaucoup plus froid, beaucoup plus raréfié, beaucoup plus obscur, que l'univers des premiers temps.

Je vais développer, aujourd'hui, la quatrième différence, qui porte sur le plan de l'organisation.

L'univers contemporain est très riche en structures organisées. Il héberge une vaste panoplie de systèmes de toutes les dimensions possibles, allant des plus grandes aux plus petites. Il y a les amas de galaxies, les galaxies, les étoiles, les planètes, les satellites, et puis, à l'autre bout de l'échelle, les molécules, les atomes, et dans les dimensions intermédiaires, les êtres vivants, les plantes, les animaux, vous et moi. C'est un univers très riche en structures organisées.

Eh bien, l'univers des premiers temps est très différent. Il n'abrite aucune organisation de quelque dimension que ce soit : il n'y a ni galaxies, ni étoiles, ni planètes, ni êtres vivants, pas même de molécules, pas même d'atomes. On parle généralement, dans ce cas, d'un univers chaotique, si on veut bien donner au mot chaos le sens de absence d'organisation.

Qu'est-ce qu'on trouve, à cette période, dans cet univers ?

On peut dire, une sorte de fluide torride, extrêmement dense, extrêmement chaud, extrêmement lumineux, et qui occupe la totalité d'un espace gigantesque, peut-être infini, peut-être pas, on ne sait pas.

On peut le comparer à une vaste purée, je ne dis pas une soupe, parce que dans la soupe, il y a des grumeaux. Une purée de ce qu'on appelle des particules élémentaires. Ces particules élémentaires, il y en a une grande variété, par exemple des électrons (comme ceux qui circulent dans nos fils électriques), aussi des photons (les grains de la lumière), encore une variété qui s'appelle les « quarks », et qui forment aujourd'hui la substance des noyaux des atomes, et puis les neutrinos sous diverses variétés.

Il est intéressant de comparer ces particules élémentaires aux lettres — au rôle des lettres — dans notre langage écrit, pour mieux comprendre le rôle de ces particules élémentaires.

À l'école, nous avons tous appris comment on peut associer des lettres pour faire des mots, ensuite associer des mots pour faire des phrases, des phrases pour faire des paragraphes, et ainsi de suite : des chapitres, des livres, des collections, des bibliothèques, l'ensemble de tous les écrits. Tout notre savoir est stocké sur ce mode de composition de ces particules élémentaires que sont les lettres, suivant quelques règles simples d'association, vocabulaire, grammaire, etc.

De la même façon, d'une façon analogue, les particules élémentaires (quarks, électrons …) s'associent pour faire des atomes qui s'associent pour faire des molécules, qui s'associent pour faire des organismes vivants, dont nous-mêmes.

Donc, gardons cette comparaison avec les lettres.

L'univers des premiers temps est une immense soupe aux lettres dissociées les unes des autres, sans mots, ni phrases, ni paragraphes, ni livres. L'univers est dans un état de chaos, il n'abrite aucune forme de structure organisée.

Voilà donc nos quatre différences fondamentales entre le monde d'aujourd'hui et le lointain passé : il était plus chaud, plus dense, plus lumineux, et totalement désorganisé.

On peut maintenant retracer l'évolution du cosmos au cours des milliards d'années qui ont suivi le « Big Bang » : il se refroidit, il se raréfie, il s'obscurcit, et en parallèle, il engendre, à partir de ce mode d'association des particules élémentaires, des structures de plus en plus complexes : l'histoire du cosmos, on peut la raconter comme l'histoire de la croissance de la complexité.