Hubert Reeves

La théorie du Big Bang (3)

Émission du 22 novembre 2003

Nous revenons une fois de plus à notre description de la théorie du « Big Bang », et, d'une façon concrète, à ce qu'elle implique pour le passé de l'univers.

Donc, en résumé, nous avons dit que l'univers des premiers temps était très différent d'aujourd'hui, il était extrêmement chaud, extrêmement dense, extrêmement lumineux, mais également totalement dissocié, chaotique, si on veut donner au mot « chaos » le sens de « absence de structures organisées à toutes les échelles possibles » ; et, en particulier, nous avons parlé de cette purée initiale de particules élémentaires qui, au cours de l'histoire de l'univers, vont s'associer sous l'effet des différentes forces de la nature, pour former des structures de plus en plus importantes.

J'ai comparé ces particules élémentaires aux lettres du langage, et je voudrais revenir sur un aspect particulier de cette association : les lettres du langage, quand vous les associez pour en faire des mots, vous créez quelque chose qu'on appelle une « propriété émergente » (cette expression reviendra souvent), c'est-à-dire quelque chose qui n'existait pas auparavant, en l'occurrence le sens de ce(s) mot(s).

Si vous dites « R », « O », « U », « G », « E », tout de suite, une image est venue dans votre tête, l'image de la couleur rouge, cette image n'était pas présente quand j'ai dit « R », il a fallu les cinq lettres, et dans cet ordre, pour que vous associiez dans votre mémoire ce mot, cette couleur, cette image, à l'assemblage de ces mots, c'est ce qu'on appelle une « propriété émergente », qui naît de l'association de ces éléments, et non pas de chacun des éléments individuellements.

Eh bien, cette idée de propriété émergente, on va la retrouver tout au long de la physique, tout au long de l'évolution du cosmos, quand, par exemple, on va prendre des atomes d'hydrogène, pour en faire, avec de l'oxygène, de l'eau, eh bien, on aura une nouvelle substance, qui est « l'eau », et l'eau a des propriétés émergentes, ce sont les propriétés que nous lui connaissons, que nous aimons, ces propriétés n'existaient pas au niveau des atomes séparés.

Donc c'est une notion qui va revenir tout au long de l'évolution du cosmos : l'association des éléments simples pour fabriquer des éléments nouveaux, qui ont quelque chose qui n'existait pas auparavant, que nous appelons des « propriétés émergentes », et nous allons dire que l'eau a des propriétés émergentes par rapport aux atomes, de même que la vie est une propriété émergente de l'organisation des molécules et des atomes qui la constituent.

Donc, revenons à notre comparaison du tout début de l'univers, l'univers des premiers temps, c'est donc comme une immense soupe de particules élémentaires qui vont s'associer, et on peut maintenant décrire l'histoire de l'univers à partir de ces quatre différences. Décrire l'histoire de l'univers, c'est dire simplement ceci : l'univers des premiers temps est extrêmement chaud, il se refroidit progressivement, il est extrêmement dense, il se raréfie, il est extrêmement lumineux, il s'obscurcit, mais, en parallèle, il engendre, à partir de ce mode d'associations, que j'ai appelé le mode qui produit des propriétés émergentes, des structures de plus en plus complexes.

L'histoire du cosmos, on peut maintenant la raconter de la façons suivante : comment, tout au long de ce refroidissement, de cette raréfaction, de cet obscurcissement, il y a eu ce phénomène extraordinaire que nous appelons « la croissance de la complexité ».