Hubert Reeves

Site officiel

Chronique
précédente :

La popularité du Big Bang

Chroniques radio France-Culture

Tous les samedis à 18h40
(rediffusion le mercredi suivant à 13h50)

Chronique
suivante :

Histoires de pigeons migrateurs

Le billard planétaire

Émission du 6 décembre 2003

Les collectes de météorites, ces pierres qui tombent du ciel, se poursuivent un peu partout sur la planète, et sont la source de connaissances extrêmement riches sur notre système solaire. Phénomène particulièrement intéressant de ces dernières années, la découverte de plusieurs météorites dont on a toutes raisons de penser qu'elles viennent de la planète Mars. Cette identification est basée sur l'analyse de certains éléments chimiques contenus dans ces pierres, comme le néon et l'argon, et qui montrent une correspondance avec la composition atmosphérique de cette planète, comme les sondes martiennes nous l'ont révélé. On trouve également dans nos collections des pierres qui nous viennent de la Lune.

Comment ces objets ont-ils pu passer d'une planète à l'autre ? Selon toute vraisemblance, il s'agit au départ de la chute sur Mars d'un astéroïde, mais avec un angle d'incidence très faible : on dit aussi une incidence rasante (presque à l'horizontale du point de chute). Sous l'impact, des morceaux du sol martien ont été éjectés avec des débris du bolide incident, et ont été projetés dans l'espace, comme par ricochet. Une fois libérées du (relativement faible) champ de gravité de Mars, ces pierres ont été attirées vers le soleil. Au passage, certaines pierres ont été capturées par le champ de gravité de la Terre et sont tombées sur elle.

Des calculs montrent que de tels échanges se sont vraisemblablement produits de nombreuses fois entre les quatre planètes intérieures (Mercure, Vénus, la Terre et Mars, en plus de la Lune). Ainsi, contrairement à ce qu'on a cru longtemps, les planètes ne sont pas des corps parfaitement isolés les unes des autres, mais par le jeu de ces incessantes collisions météoritiques, elles échangent de la caillasse.

Échangent-elles autre chose ? C'est là une question fascinante qui émoustille aujourd'hui l'esprit des chercheurs. Est-il possible, par exemple, que ces débris rocheux contiennent des formes de vie, certes très primitives, des bactéries par exemple, qui pourraient voyager à bord de ces vaisseaux spatiaux, comme des touristes interplanétaires, pour venir se poser sur des planètes différentes et y poursuivre leur existence ?

Des études récentes suggèrent que cette idée est loin d'être farfelue. Deux faits nouveaux vont dans ce sens. D'abord, la découverte d'une propriété très étonnante du comportement de certains organismes microscopiques : la capacité de se replier sur eux-mêmes pour entrer dans un état dit de « dormance », quand les conditions extérieures deviennent trop hostiles (froid où manque d'eau par exemple), et d'y rester pendant des périodes extrêmement longues (on parle de millions d'années …). Ensuite, la découverte de formes de vie nouvelles, capables de d'adapter à des conditions physiques beaucoup plus diversifiées que nous n'étions en mesure de l'imaginer auparavant. Des températures allant de celle de la glace à celle de l'eau bouillante ; de la plus grande acidité à la plus grande alcalinité. Des formes bactériennes tirant leurs énergies de processus chimiques variées, comme ces organismes qu'on trouve à grande profondeur dans les strates rocheuses terrestres.

Les implications de cet ensemble de découvertes nouvelles sont fascinantes. Les planètes pourraient s'ensemencer mutuellement. La vie terrestre vient peut-être d'une autre planète du système solaire. Des martiens, sous forme bactérienne, sont peut-être déjà venus sur la Terre. Et peut-être sommes-nous tous à l'origine des « petits hommes verts ».