Hubert Reeves

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Perplexité …

Émission du 28 février 2004

« Les forêts précèdent les civilisations, les déserts les suivent », écrivait Chateaubriand il y a deux siècles. Chaque fois que des hommes ont mis pied sur des territoires encore vierges, ils y ont laissé des traces généralement déplorables : extinctions rapides d'une fraction importante des espèces, détérioration des milieux naturels, destruction de la forêt primaire, assèchement des zones humides, etc., et, à une échelle plus globale, l'amincissement de la couche d'ozone ainsi que le fameux réchauffement de la planète.

Pourtant, les hommes ne sont pas les seuls à modifier leur environnement par leur activité. Les passages de troupeaux d'éléphants laissent aussi des marques profondes. Ils piétinent et déracinent de grandes quantités de buissons et d'arbustes qui souvent ne s'en relèvent pas.

De même, l'arrivée d'une colonie de castors dans un lac du nord canadien altère considérablement l'état des lieux. En peu de temps, ces rongeurs coupent de leurs dents acérées des quantités de jeunes arbres. Ils les traînent vers l'embouchure des rivières où ils construisent des barrages. Le niveau de l'eau monte, et de vastes régions arborées se transforment en marécages où les arbres ont tôt fait de mourir. La taupe laisse des traces de son passage et de son activité que connaissent bien les jardiniers quand ils découvrent les multiples monticules de terre noire que ces animaux ont fabriqués en une seule nuit. Il est difficile de comprendre comment un animal aussi minuscule peut produire des effets d'aussi remarquables dimensions.

Pourtant, les actions de ces animaux : éléphants, castors, taupes et bien d'autres encore ne sont pas nocives à long terme. À l'intérieur des forêts denses et opaques, les agressions portés aux plantes par les éléphants ouvrent des clairières où la lumière pénètre. Des niches nouvelles sont ainsi engendrées qui à terme augmentent le nombre d'espèces et la richesse de la biodiversité locale.

De même, les étangs, les marécages, les prairies inondées dont l'activité des castors est responsable, hébergent des quantités d'espèces végétales et animales. Les arbres morts, qui restent pour un temps dressés dans le ciel, deviennent des sites propices au creusement des nids pour les pics et les sittelles. Les bois décomposés par l'eau hébergent des multitudes d'espèces aquatiques qui y trouvent leurs nourritures. Le passage des taupes dans le sous-sol de nos jardins a pour effet de mélanger et de diversifier la texture du sol en modifiant les populations de microorganismes qui s'y trouvent. En plus de compacter et d'oxygéner le terreau, les tunnels abandonnés deviennent des abris pour les batraciens en hiver et pour le lent travail des fourmis tout au long de l'année. Quel mauvais sort semble avoir été jeté sur l'espèce humaine ?

Pourquoi son activité ne parait-elle pas avoir la possibilité de se convertir à long terme en une action favorable à la nature ? Question à laquelle nous tenterons de répondre dans nos prochaines causeries.