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Perplexité … (suite)
Émission du 6 mars 2004
Toutes les espèces vivantes sur la Terre modifient leur environnement. Leur activité a des effets sur l'écosystème dans lequel elles sont intégrées. De proche en proche, ces écosystèmes s'influencent mutuellement, et la biosphère entière s'en trouve modifiée.
Ces interactions peuvent être localement destructives pour ne pas dire dévastatrices. J'ai mentionné lors d'une précédente causerie les arbustes piétinés et arrachés par les troupeaux d'éléphants, les arbres noyés par les inondations provoquées par les castors et les ravages des taupes.
Pourtant, les effets de ces actions ne sont négatifs qu'à court terme.
À plus long terme, ils s'intègrent dans une évolution qui favorise la création
de nouveaux habitats, et en conséquence aboutissent à des enrichissements
biologiques.
Ces considérations nous laissent une impression de malaise et déclenchent une interrogation.
- Pourquoi n'en est-il pas de même de l'activité humaine ?
- Pourquoi son influence sur la biosphère semble-t-elle si irrémédiablement néfaste ?
- Pourquoi le saccage de son habitat par lui-même ne semble-t-il
pas pouvoir s'intégrer dans une activité plus large impliquant elle-même
un développement positif de la vie terrestre ?
- Quel mauvais sort, jeté par une méchante fée à sa naissance,
prive-t-il l'humanité de cette possibilité de voir son
interaction récupérée et intégrée d'une façon enrichissante dans
ce qu'on a appelé la prodigieuse aventure de la vie sur la Terre ?
- En d'autres termes, qu'est ce qui différencie l'interaction de l'humanité de celle des autres espèces vivantes ?
Deux éléments semblent particulièrement importants : son ampleur, mais surtout sa rapidité. La différence n'est pas qualitative, mais quantitative.
Prenons comme exemple l'arrivée des humains sur une île vierge. Au-delà de la chasse intensive, le délestage par les navires de rongeurs et de germes bactériens nouveaux en ces lieux a été une des causes les plus importantes de l'élimination rapide des espèces locales. Ces organismes protégés par leur insularité n'avaient aucune défense comportementale ou immunitaire contre des agresseurs extérieurs. Les œufs des oiseaux qui nichaient au sol étaient mangés par les rats.
Pourtant ces îles, tout isolées qu'elles soient, n'en étaient certes pas à leur première invasion. On peut imaginer que des arbres déracinés par des tempêtes aient parfois dérivé jusqu'à leurs rivages apportant des bactéries, des insectes, et peut-être même des rongeurs transportés sur ces embarcations de fortune. Les dégâts résultants de ces arrivages restaient tout de même minimes, et l'écosystème de l'île évoluait en conséquence sans menace excessive.
Il convient d'ajouter ici un résultat récent des recherches en écologie. La stabilité d'un écosystème, sa capacité de récupération après un traumatisme, dépend étroitement du nombre d'espèces vivantes qui s'y trouvent en interdépendance. Une diminution massive de sa biodiversité peut le mettre sérieusement en péril. Et s'il réussit à passer le cap, sa reconstitution prendra d'autant plus de temps que l'élimination d'espèces fut importante. Nous avons ici tous les éléments requis pour comprendre la différence entre les agressions animales et celles dont les humains sont responsables. D'une part, la dévastation humaine s'étend aujourd'hui à l'ensemble de la planète. On s'attend à une disparition de 20 à 30 % des espèces végétales et animales d'ici à la fin de ce siècle.
D'autre part, la vitesse de cette agression est bien au-delà des temps typiquement requise pour que le système récupère. Il faudrait des siècles, sinon des millénaires, pour que les modifications de la biosphère dont nous sommes la cause puissent s'intégrer positivement dans le cours de l'évolution de la vie terrestre.
Mais cette réponse appelle une question beaucoup plus troublante : Comment les humains sont-ils arrivés à avoir une interaction aussi puissante et aussi rapide qui aujourd'hui les menace eux-mêmes ?
C'est la question sur laquelle nous allons terminer cette causerie, vous laissant y réfléchir …