Hubert Reeves

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Problème d'énergie

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Émission du 24 avril 2004

Nous revenons aujourd'hui sur le problème de la production d'énergie pour l'ensemble des besoins de l'humanité.

La demande énergétique présente équivaut à celle que produiraient douze mille réacteurs nucléaires, et cette demande devrait doubler d'ici cinquante ans. Si j'emploie cette image de réacteurs nucléaires, ce n'est pas, je le répète parce que je suis un défenseur de ce mode d'énergie, mais simplement pour donner une image pédagogique qui aide à visualiser la situation. Question cruciale : où prendrons-nous cette énergie ?

Les sources de pétrole et de gaz naturel seront largement épuisées dans un demi-siècle, et le charbon passablement entamé. Nous ne nous en plaindrons pas, puisque leur utilisation est la source d'un des grands problèmes de notre époque : le réchauffement de la planète. De plus, problème supplémentaire, où prendrons-nous la matière première de nombre de produits industriels de grande importance : l'asphalte pour les routes, le plastique pour la tuyauterie, si nous continuons à les épuiser ?

Deux autres sources d'énergie sont potentiellement capables de prendre la relève, sans émettre de gaz carbonique : l'énergie nucléaire et l'énergie solaire. Les deux modes ont leurs difficultés et leurs problèmes. Les défauts de l'énergie nucléaire sont bien connus. J'y reviendrai dans une prochaine causerie.

L'énergie solaire, sous forme de barrages, d'éoliennes, de panneaux solaires, de biomasse, est largement préférable, mais elle pose un autre type de difficultés : la faiblesse de rendement avec la technologie contemporaine. Ce défaut n'est pourtant pas irrémédiable, et n'est donc pas forcément rédhibitoire. De nombreux laboratoires travaillent à augmenter ces rendements, et des progrès techniques se font chaque année. Mais ses progrès seront-ils assez rapides pour prendre à temps la relève de la demande d'énergie ? C'est là un des grands challenges des prochaines décennies.

Lors d'un récent voyage en Scandinavie, j'ai vu de grandes quantités d'éoliennes tourner dans le ciel bleu. Chacune était garante d'un peu moins de gaz carbonique dans l'atmosphère, ou d'un peu moins de déchets nucléaires à gérer par les générations à venir.

Bien sûr, les éoliennes ont aussi leurs désavantages : modifications des paysages, dangers pour les oiseaux migrateurs. Certaines associations de protection de l'environnement s'opposent à leur installation. On peut comprendre leurs objections. Mais il importe de considérer les problèmes dans leur ensemble. Il y a, au départ, une réalité : il nous faut de l'énergie pour vivre. Et, même en réduisant au maximum nos exigences, il en faut beaucoup. Il n'est plus possible aux six (bientôt neuf ou dix) milliards de personnes qui peuplent notre planète de retourner à l'âge des bougies. Se battre contre les éoliennes, et vouloir que la lumière s'allume quand on utilise le commutateur, est-ce un comportement raisonnable ? Il faut être cohérents, et concilier nos demandes d'énergie et nos exigences environnementales.

Tous les modes de production d'énergie présentent des inconvénients. Bien sûr, il faut essayer de réduire. On cherche de plus en plus à mettre les éoliennes en mer, où elles sont moins visibles et où le vent est plus fort, à éviter les routes des oiseaux migrateurs. Mais il y aura toujours des dégâts. Comme dit le proverbe : on ne peut pas avoir à la fois le beurre et l'argent du beurre.