Hubert Reeves

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Émission du 25 septembre 2004

Si la vie extraterrestre existe un partout dans notre univers, si des civilisations se sont développées sur d'autres planètes, si elles ont atteint, avant nous, le stade de technologie astronautique requis pour entreprendre des périples interstellaires, et peut-être même intergalactiques, comment expliquer que nous n'ayons reçu, jusqu'ici, aucun visiteur et même aucun message radio attestant leur présence dans notre ciel ? Ce vide peut-il être pris comme un argument contre la thèse de la vie extra-terrestre ? Cela nous indique-t-il que nous sommes seuls dans l'univers ?

Il importe ici de rappeler que Fermi formulait sa question vers les années 1950, à une période où sévissait la « terreur nucléaire » : deux puissances ennemies, les USA et l'URSS, s'affrontaient dans une guerre froide, armées chacune de milliers de mégatonnes d'ogives nucléaires installées dans des silos souterrains ou sous-marins et prêtes, à tout instant, à annihiler l'opposant. Nous savons maintenant, après la publication des archives du Kremlin, qu'à plusieurs reprises, des incidents ont failli déclencher l'assaut catastrophique qui aurait pu rayer l'humanité de la planète.

Fermi faisait alors la remarque suivante : une civilisation qui atteint le niveau technologique requis pour visiter l'univers arrive vraisemblablement, en même temps, à maîtriser l'énergie nucléaire et à fabriquer des bombes atomiques.

D'où la question angoissante : quel est l'intervalle de temps moyen entre le début des voyages spatiaux et le déclenchement d'un conflit qui éliminerait une espèce intelligente, ou, du moins, l'affaiblirait au point de décourager tout effort spatial ?

Tel était donc, formulée implicitement par cette interrogation, la raison du pessimisme de Fermi face à la possibilité de vie intelligente extraterrestre : elle existe peut-être, mais elle ne dure pas. Elle s'autodétruit.

Aujourd'hui, la situation politique est profondément différente. Avec le démantèlement des silos atomiques dans les années 1980, et le démantèlement de l'URSS après 1989, le spectre d'un holocauste nucléaire s'est largement estompé. Aujourd'hui, il n'y a guère de scénario crédible d'un affrontement nucléaire mondial, même si des menaces existent encore de conflits locaux en Asie où des pays comme le Pakistan, l'Inde, et la Corée du Nord possèdent des armes atomiques.

Mais l'argument de Fermi peut également être formulé autour d'une autre menace sur l'avenir de l'humanité : la détérioration de la biosphère et des conditions de vie des êtres humains.

Essayons de décrire la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui, et celle qu'on peut tenter d'extrapoler.

Les réussites récentes de l'exploration spatiales : atterrissages sur Mars, succès des missions vers Jupiter et Saturne, multitudes de projets en active préparation vers d'autres objectifs planétaires, sont d'excellente augure pour l'avenir de l'astronautique.

Mais, en parallèle, l'accumulation des informations inquiétantes sur la situation environnementale : réchauffement planétaire, épuisement des sources d'énergie et de nourriture, pollutions de plus en plus graves de l'air, de l'eau et des terres, exterminations massives des espèces vivantes (la sixième extinction), menaces de catastrophes écologiques ou sanitaires de grande envergure (épidémies) provoquées par des actions terroristes, posent sérieusement la question de l'avenir de l'humanité. Et, plus particulièrement, de la possibilité de la poursuite prolongée de l'effort spatial.

Bien sûr, rien n'est définitivement joué. L'humanité peut encore reprendre son destin en main, et redresser la situation pour éviter son extinction ou son affaiblissement général. Ce n'est d'ailleurs qu'à ce prix que l'exploration du cosmos pourra continuer, et nous permettre de connaître et de visiter notre grand univers.