Hubert Reeves

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Vénus et l'effet de serre

Émission du 2 octobre 2004

Vénus est cette lumineuse planète qui se laisse voir alternativement, peu avant le lever du Soleil, ou peu après son coucher. C'est, après le Soleil et la Lune, l'astre le plus brillant de notre voûte céleste. On peut l¹apercevoir à certaines périodes, quand le ciel passe du bleu profond au noir, près du lieu où le Soleil vient de se coucher.

À beaucoup de points de vue, la planète Vénus est la jumelle de notre Terre. Sa masse lui est légèrement inférieure (environ 80 %), et son orbite autour du Soleil n'est pas éloignée de celle de la nôtre : sa distance au Soleil est les deux tiers de celle de notre planète. Les compositions chimiques, en particulier la quantité de carbone, sont également très semblables.

Mais les ressemblances s'arrêtent là ; et les différences sont très spectaculaires. Vénus possède une atmosphère massive, cent fois plus dense que la nôtre, et principalement constituée de gaz carbonique, ce qui provoque à la surface de la planète un gigantesque effet de serre. La température y est de 480 degrés Celsius, excluant la possibilité de nappes aquatiques et, en conséquence, vraisemblablement, de tout organisme vivant (du moins sous la forme de vie que nous connaissons). Elle est en permanence couverte d'une épaisse couche nuageuse, que les rayons du Soleil n'arrivent pas à transpercer, et dans lesquels se forment des gouttes d'acide sulfurique. Rien à voir avec l'éden qu'aurait pu suggérer le nom de cette planète.

Pourquoi Vénus et la Terre ont-elles des conditions superficielles si différentes ? Une première raison : alors que sur Vénus les atomes de carbone sont incorporés dans les molécules de gaz carbonique, sur la Terre ils sont en grande majorité séquestrés dans les pierres calcaires qui gisent dans le sous-sol, en particulier en-dessous des grands fonds marins.

Mais, nouvelle question, pourquoi cette différence ? Quels phénomènes ont pu être responsables de stockages aussi dissemblables ? Nouvelle réponse : la cause est la présence d'eau liquide à la surface de la Terre, et plus particulièrement le foisonnement d'organismes vivants dans les premières centaines de mètres sous la surface marine. Ces animaux et végétaux microscopiques (plancton, diatomées, algues bleues), utilisent le gaz carbonique et la lumière du Soleil comme source d'énergie (c'est la photosynthèse). À leur mort, ils tombent au fond de la mer où ils s'accumulent, et sous l'effet de la pression donnent naissance aux minéraux carbonatés (la craie des tableaux noirs de notre enfance en est un bon échantillon). La surface de Vénus, étant dépourvue d'eau, n'a pas accès à cette extraction de gaz carbonique. Ce gaz reste dans son atmosphère.

La situation frise maintenant le cercle vicieux : Vénus n'a pas d'eau parce qu'elle est trop chaude (à cause du gaz carbonique). Elle est trop chaude parce qu'elle n'a pas d'eau pour absorber son gaz carbonique. Ce paradoxe est encore largement en attente d'une explication satisfaisante.

Pour l'instant, restons-en à une considération qui ne manque pas d'attirer notre attention sur une situation contemporaine : si tout le carbone de la surface terrestre était émis dans l'air sous forme de gaz carbonique, notre atmosphère s'échaufferait à des centaines de degrés, et toute vie disparaîtrait.

Vénus est, en quelque sorte, sous nos yeux, une sorte d'avertissement.