Hubert Reeves

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Guyane : où la nature saigne

Émission du 9 octobre 2004

En février 2004, une conférence internationale sur la protection de la nature (la diversité biologique) s'est tenue à Kuala Lumpur. Si la France y avait été notée, elle aurait reçu une très mauvaise note pour sa responsabilité quant au sort de 10 % des récifs coralliens du monde, de 20 % des atolls et près de cent mille kilomètres carrés (le cinquième de la France) de forêts tropicales.

Regardons par exemple ce qui se passe en Guyane française : sa forêt est un des derniers grands massifs forestiers tropicaux d'un seul tenant. Elle héberge une extraordinaire richesse d'animaux (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens) et de végétaux (fleurs, arbres) tous plus merveilleux les uns que les autres. Son territoire renferme de fortes potentialités en matière d'écotourisme qui apporterait aux habitants des revenus importants, tout en préservant la biodiversité planétaire. La chasse à outrance, le braconnage et le trafic d'oiseaux exotiques menacent sérieusement ses remarquables atouts ; l'absence de contrôle efficace de ces activités contribue à augmenter leurs méfaits.

Les mesures relatives aux périodes de chasse prises par le ministère de l'Écologie français ne s'y appliquent pas. On peut y chasser partout, tout le temps, même la nuit, et aucun permis de chasse n'est exigé. Les toucans, les pics et les perroquets sont des gibiers tout à fait habituels, certains chasseurs se vantant de tuer plus de cent toucans par jour.

De magnifiques oiseaux exotiques comme l'agami trompette (dont le commerce est autorisé) suscitent une pression de chasse qui a conduit à une très forte régression de leurs populations. De même, le trafic des grands aras, dont la chasse est pourtant interdite (mais non la détention) a conduit à leur quasi-disparition le long du littoral et des grands fleuves, alors qu'ils y abondaient jusqu'en 1960. Des associations de protection tentent de réduire ces massacres, mais les autorités locales (Office national de la Chasse et de la Faune Sauvage) ne bénéficient que de moyens dérisoires dans un territoire aussi gigantesque.

À ces problèmes s'ajoutent les dégâts catastrophiques provoqués par les chercheurs d'or (les orpailleurs). Ils opèrent le plus souvent en toute illégalité, dans les bassins des cours d'eau où ils déversent des quantités de mercure pour l'extraction de l'or. Intégré dans la chaîne alimentaire des organismes aquatiques, ce métal se retrouve jusque dans la nourriture des populations indigènes, où il provoque de désastreuses maladies du cerveau.

La Guyane héberge par ailleurs la base de lancement aéronautique de Kourou, une des meilleures au monde. Là sont lancées les fusées Ariane porteuses d'instrumentation hautement sophistiquée. Des missions interplanétaires parties de cette base vers les planètes du système solaire (Mars, Jupiter, Saturne) ont été à l'origine d'importantes moissons de connaissances dont l'Europe, et la France en particulier, ont toutes raisons d'êtres fières.

La différence est grande entre l'intérêt que porte la France à soigner la fenêtre technologique que représente Kourou aux yeux des autres nations, et celui qu'elle porte à la Guyane en tant que fenêtre écologique. Dans sa communication à Kalua Lumpur, Dans sa communication à Kalua Lumpur, le directeur de l'Union Mondiale pour la Nature (UICN), dont la Ligue ROC que je préside est membre du Comité français, rappelait que la plus grande partie des richesses biologiques se trouve dans des pays pauvres dont une fraction importante est sous le contrôle de la France. Espérons que notre gouvernement se décidera bientôt à prendre les moyens nécessaires pour remédier à ces désastres, et que l'écologie d'en bas, celle des décisions concrètes, soit le parfait reflet des messages de l'écologie d'en haut, celle des discours de Jacques Chirac à Johannesburg.

Notons que, récemment, des mesures sérieuses ont été prises par le Ministère de l'Environnement au sujet de la Guyane. Espérons que leurs effets seront suffisamment vigoureux et rapides pour arrêter la dégradation de ce précieux territoire.


Référence : La Revue de la LPO : « l'Oiseau », de janvier 2004.