Hubert Reeves

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Le retour du loup

Émission du 1er janvier 2005

Dans l'ouest des États-Unis, les loups ont été éliminés au début du 20ème siècle. Le problème de la prolifération des coyotes s'est alors rapidement posé. Pour y remédier, on a mis au point des programmes pour en limiter le nombre. Résultat : une multiplication excessive des renards, leur proie favorite, qui devinrent rapidement une menace sérieuse pour les oiseaux aquatiques.

D'une façon analogue, la quasi-élimination de la loutre de mer par les chasseurs de fourrures sur la Côte Pacifique des États-Unis entraîna la prolifération des oursins qui constituent la base de leur alimentation ; les oursins décimèrent les forêts de varechs géants, créant des fonds marins désertiques. En réaction, la protection ultérieure des loutres provoqua la diminution de la population d'oursins et la réapparition du varech ainsi que du poisson.

Ces conséquences illustrent pour nous l'impact inattendu et souvent désastreux des intrusions massives des être humains sur la nature, tout en nous permettant de mieux connaître les interdépendances entre les espèces, éléments essentiel aux équilibres des écosystèmes.

Forts de ces expériences, on a introduit il y a quelques années, dans le Parc de Yellowstone, en Californie, une vingtaine de loups provenant du Canada.

Les effets de cette réintroduction sur la faune et la flore ont été hautement bénéfiques. On a d'abord constaté une diminution du nombre de wapitis, un grand cerf dont les populations excessives étaient cause de graves dommages à la nature. De nombreuses plantes dont ces animaux broutaient à l'excès les jeunes pousses sont réapparues, en particulier les peupliers dans les vallées. Les fleurs de montagne foisonnent à nouveau sur les côteaux où elles attirent de nombreux papillons pour les butiner. Les chants de plusieurs espèces d'oiseaux depuis longtemps inaudibles se font à nouveau entendre. Et les castors, qui avaient déserté le parc — vraisemblablement à cause de l'absence de leurs plantes favorites —, construisent à nouveau des barrages auprès desquels de nombreux organismes aquatiques ont ressuscité.

Ce n'est pas un miracle.

Cette réintroduction du loup constitue en quelque sorte une expérimentation grandeur nature. Elle illustre l'importance de la notion d'échelle de prédation. Dans une nature en équilibre, les espèces animales sont à la fois consommatrices et proies. Le lapin de garenne qui tond le pré peut devenir, un instant plus tard, la victime du renard. L'épervier capture un merle qui mangeait des vers de terre nourris de feuilles mortes. Au cours des millions d'années de l'évolution, une hiérarchie s'est élaborée, dans laquelle chaque espèce forme un maillon de la chaîne alimentaire. Au sommet trônent les grands prédateurs : rapaces, loups, et grands félins.

L'élimination de ces prédateurs par l'activité humaine — chasse ou occupation des territoires — perturbe gravement cet équilibre. Prenant conscience de son importance pour la santé de la nature dont nous dépendons, il importe de le rétablir. À l'exemple de l'expérience de Yellowstone, cette responsabilité nous revient. Aucune autre espèce ne pourrait penser cette réhabilitation et la mener à bien.

Il importe toutefois de ne pas occulter les problèmes que de telles entreprises entraînent. Nous sympathisons à la détresse du berger qui découvre au matin ses brebis égorgées par les loups. Il faut retrouver ou inventer les moyens de protection des troupeaux dans les alpages : grillages et chiens, par exemple. Il nous faut redécouvrir l'importance et la fragilité du monde rural que nous avons largement négligé et qui pourtant nous est indispensable.