Hubert Reeves

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Émission du 22 janvier 2005

Que représenterait, à l'échelle cosmique, la disparition des humains sur notre planète ?

Au cours de la dernière causerie, j'ai tenté de montrer qu'il s'agirait de bien plus que d'une simple anecdote sans importance au vu de l'immensité du cosmos.

Retraçant l'histoire de l'univers depuis sa naissance, j'ai rappelé la croissance progressive de la complexité tout au long des milliards d'années de l'évolution du cosmos, l'assemblage de structures nouvelles munies de propriétés émergentes et de capacités inédites.

Cette progression dans l'efficacité s'est poursuivie tout au long de l'évolution biologique, amenant, entre autres résultats, l'éclosion de l'intelligence et de la conscience, attributs des humains.

Loin de se contenter d'assurer sa survie grâce au développement de techniques sans cesse perfectionnées, le cerveau humain a donné naissance à une extraordinaire moisson d'activités. Les merveilles de la création artistique, musicale, picturale, littéraire, sont des prouesses du génie humain, tout comme le large éventail des connaissances scientifiques sur le cosmos dans toutes ses dimensions, grandes ou petites. Aucune autre espèce n'a mis les pieds sur la Lune, aucune autre n'a survolé Saturne, découvert les lois qui régissent la matière et l'histoire de l'univers. Que deviendraient les merveilleux fruits de la culture si nous cédions la place aux mouettes, aux rats et aux insectes ?

Tous ces fabuleux trésors disparaîtraient si l'humanité s'éteignait …

Cela signifierait que l'accès à une si grande puissance mentale entraîne le risque de l'élimination de qui en est le détenteur. Et se trouverait confirmée l'idée que l'intelligence est un cadeau empoisonné.

« Mais, là où il y a danger, croît aussi ce qui sauve », écrivait le poète allemand Hölderlin.

Des lueurs d'espoir apparaîssent quand nous considérons l'évolution de la sensibilité humaine. Le massacre des pigeons migrateurs américains et des grands pingouins dans l'indifférence générale ne serait guère pensable aujourd'hui. Un respect croissant de la vie favorise une prise de conscience de la crise actuelle, et s'accompagne de gestes positifs. Nous assistons à la naissance de mouvements de protection du vivant, des humains jusqu'aux animaux et aux fleurs sauvages. J'ai signalé la mise en œuvre de décisions salutaires, pour préserver la couche d'ozone, pour réduire l'acidité des pluies, pour restaurer avec quelques succès des équilibres naturels.

La mobilisation mondiale pour apporter de l'aide aux victime du tsunami dans l'Océan Indien peut être considérée comme une nouvelle manifestation d'une sensibilité planétaire croissante.

S'humaniser ou périr : ainsi pourrions-nous présenter l'enjeu auquel nous voilà confrontés. La sixième extinction pourrait se terminer, non pas par une passivité qui nous mènerait à une inéluctable disparition, mais par une réaction vigoureuse qui, en nous décidant à stopper l'hécatombe des espèces que nous sacrifions actuellement, nous épargnerait nous aussi d'appartenir un jour à la liste des espèces disparues.

Alors nous pourrions pousser plus loin, parmi les étoiles et les galaxies, notre exploration de l'univers. Et, préservant et enrichissant notre culture, embellir le monde en multipliant sous toutes ses formes les créations d'œuvres d'art. Et peut-être — qui sait — bénéficier un jour des apports culturels de civilisations extraterrestres … si elles existent !

« L'espoir, certes, demeure et chante à demi-voix », nous disait aussi Paul Valéry.