Hubert Reeves

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Émission du 21 mai 2005

Nous savons depuis une dizaine d'années que la vitesse d'éloignement mutuelle des galaxies augmente régulièrement. Phénomène qu'on peut résumer par les mots : l'univers est en expansion accélérée. On observe, en effet, que les galaxies sont plus loin qu'elles le seraient si l'expansion se faisait à vitesse constante. Pour reprendre la comparaison du caillou lancée à la verticale, tout se passe comme si, au lieu de ralentir progressivement à mesure qu'il s'élève (comme on s'y attendrait à cause de l'attraction terrestre), il augmentait de vitesse. Comme si la Terre le repoussait …

Pour rendre compte de cet effet inattendu d'accélération de l'éloignement des galaxies, on a inventé la notion d'une nouvelle composante de l'univers appelée « énergie sombre ». Pour générer le surcroît de distance constaté entre deux galaxies, cette substance doit représenter environ 70 % de la densité de l'univers.

Comme pour la masse sombre décrite dans les causeries précédentes, nous adoptons maintenant une attitude critique face à cette nouvelle addition. Peut-on la confirmer par d'autres observations qui, établies sur des technologies différentes, retrouveraient le même résultat ?

La réponse est oui. De deux façons totalement distinctes.

La première façon fait appel aux mathématiques. Il nous faut d'abord revenir sur les notions de géométrie dans l'espace. Nous avons déjà abordé, dans une causerie précédente, la question de la géométrie de l'univers. Revenons-y brièvement. Rappelons d'abord qu'une ligne est un espace à une dimension, une surface un espace à deux dimensions et un volume un espace à trois dimensions. Une ligne peut-être droite ou courbe. Une surface peut être plate (la page de votre livre) ou courbe (la surface d'un ballon), et la courbure peut avoir plusieurs valeurs (selon la grosseur du ballon …). Il y a plusieurs millénaires, les humains croyaient que la surface de la Terre était plate. Les grands navigateurs, comme Magellan, nous ont montré qu'elle est courbe (une sphère) ; les photos de la Terre vue de l'espace nous le confirment.

J'insiste sur ce dernier point pour rappeler que rien ne pouvait permettre à l'homme préhistorique de répondre à la question « quelle est la forme de la Terre ? » si jamais il s'était posé cette question.

Et maintenant voici un petit exercice mental dans un domaine où l'imagination n'est pas à l'aise, mais que l'intelligence peut aborder sans problème.

De même qu'une ligne (à une dimension) peut être droite au courbe, de même qu'une surface à deux dimensions peut-être plate ou courbe, grâce aux mathématiciens Gauss et Riemann (au XIXème siècle), nous savons qu'un espace à trois dimensions peut-être plat ou courbe.

Mais comment imaginer cela ?

On ne peut pas.

Notre imagination (façonnée par l'évolution pour vivre dans notre réalité quotidienne) n'en a pas la possibilité. Mais notre esprit, notre intellect peut aller bien au-delà de notre imagination, et conceptualiser des géométries qui échappent complètement à notre capacité imaginative. Il n'est nullement nécessaire d'imaginer pour calculer.

Quel rapport y a t-il — vous demandez-vous sans doute — entre ce cours de géométrie et l'existence de l'énergie sombre ?

À reprendre la semaine prochaine …