Hubert Reeves

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Émission du 18 juin 2005

Nous poursuivons notre quête de la nature de cette énergie sombre qui domine aujourd'hui l'univers, et éloigne les galaxies les unes des autres à des vitesses toujours plus grandes. Nous avons vu que la Théorie de la Relativité Généralisée d'Einstein (1917) prévoyait déjà la possibilité théorique d'une telle substance, à laquelle le nom de « constante cosmologique » avait été attribué. Mais rien ne permettait d'affirmer qu'elle existait vraiment.

Par contre, la physique quantique, développée quelques années plus tard, impose l'existence réelle de formes d'énergie quantique (plus exactement l'existence de champs quantiques auxquels des énergies sont associés). Agréable surprise pour les physiciens : les propriétés de ces champs correspondent exactement à celles de la constante cosmologique d'Einstein. Ils exercent sur les astres une force répulsive, celle-là même qui serait responsable de l'accélération de l'éloignement des galaxies les unes des autres.

La question se pose alors de savoir si la densité de ces champs quantiques est suffisamment élevée pour expliquer le mouvement observé des astres. Nous avons vu que, pour cela, elle doit représenter 70 % de la densité totale de l'univers.

À la surprise générale, les premiers calculs montrèrent que la densité observée de l'énergie sombre (70 %, donc) était très inférieure à celle que la théorie laissait prévoir. Le désaccord entre le résultat des observations et celui des calculs est gigantesque. Mais il est vite apparu que ces calculs étaient basés sur des hypothèses contestables. Aujourd'hui, nous admettons ne pas savoir faire correctement ces calculs. Cette impuissance nous remet en présence du fait que nos théories de la physique sont encore bien insatisfaisantes, et que bien des éléments essentiels nous échappent encore. Les chercheurs se grattent la tête …

Une des solutions à cette énigme fait appel à de nouvelles théories de la physique, dont une version, assez populaire, la théorie des « supercordes », suppose que l'espace cosmique est un espace à dix dimensions, dont trois seulement sont en expansion (les trois dans lesquelles nous vivons) ; les autres se sont contractées jusqu'à devenir inaccessibles à nos perceptions.

Cette théorie, particulièrement séduisante sur le plan des idées, ne rallie pas tous les suffrages. Il lui reste encore à prouver sa compétence à expliquer les observations. Cette exigence reste l'élément crucial qui permet de crédibiliser une théorie. Résumons-nous : il est tout à fait possible que l'accélération de l'univers soit provoquée par la présence de champs quantiques dont nous ne savons pas calculer correctement la densité.

Il est également possible qu'il s'agisse de tout autre chose. De nombreux chercheurs mettent en avant l'existence possible d'une autre substance, qu'ils appellent « quintessence » (c'est un clin d'œil à Aristote, qui utilisait lui même ce terme). Des programmes d'observations sont en préparation. D'ici quelques années, les résultats pourraient nous en apprendre un peu plus sur cette énergie sombre, et nous dire si elle correspond vraiment à une énergie quantique, ou à quelque mystérieuse quintessence, qui ferait alors son entrée dans le domaine de la physique (et de la réalité …).