Hubert Reeves

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Émission du 8 janvier 2006

Le physicien Dirac s'est donné, vers 1930, la tâche de réconcilier les deux nouvelles théories de la physique, celle de la relativité d'Einstein (dans sa version de 1905), et celle de la physique quantique, si admirablement capable de décrire le mouvement des atomes et des molécules. Ces deux théories semblaient présenter des incompatibilités fondamentales.

Il élabore alors une équation dans laquelle ces incompatibilités sont supprimées. Et il entreprend de résoudre cette équation, et d'en analyser les solutions. Et là, c'est la stupéfaction, la boîte de Pandore, la caverne d'Ali Baba ! Dirac dira plus tard : « Mon équation était bien plus savante que moi ! ».

À cette époque, l'existence de l'électron, particule légère possédant une charge électrique négative, était connue depuis une trentaine d'années. Dans son langage mathématique, l'équation de Dirac annonce l'existence d'une autre particule, sœur jumelle de l'électron, en tous points semblable, sauf sur un plan : elle possède une charge électrique positive. On l'appellera « positron » ou « anti-électron ». C'est là le premier représentant d'une famille nombreuse constitutive de l'antimatière.

La question se pose : cette particule existe-t-elle vraiment dans la nature, ou bien n'est-elle qu'une idée, un « être de raison » né des besoins de la logique mathématique ?

La réponse ne tarde pas à arriver. Deux ans plus tard, en développant des plaques photographiques envoyées en ballon dans la haute atmosphère, pour y détecter la présence de particules rapides circulant dans l'espace (les « rayons cosmiques »), on découvre la présence de traces sombres, adjacentes, laissées par le passage de deux particules semblables, mais de charges opposées : un électron et … un antiélectron ! Il existe vraiment !

On note aussi que, dans ces émulsions photographiques, les électrons et les positrons (ou anti-électrons) apparaissent toujours ensemble. Ils forment ce qu'un appellera « une paire de particule et d'antiparticule ».

Ainsi donc se trouve vérifiée l'idée de Dirac selon laquelle si la réalité présente, au travers des équations qui la décrivent, des apparences d'incompatibilité ou d'incohérence, c'est que les théories sont incomplètes. Cette idée a été à la source d'informations nouvelles sur la réalité. À partir de sa conviction et de son travail mathématique, non seulement Dirac a pu montrer que ces difficultés peuvent être aplanies, mais il a en outre bénéficié d'une sorte de bonus, sous la forme de deux informations qui allaient enrichir la physique et l'astronomie.

La première information porte sur l'existence du spin des électrons, discutée la semaine dernière.

La seconde information est, elle, entièrement inattendue : l'affirmation de l'existence d'une sorte de jumeau de l'électron, mais de charge électrique positive (l'électron ordinaire est négatif). Cette prédiction a été confirmée quelques années plus tard. Elle a inauguré un nouveau chapitre de la physique, consacré au monde de l'antimatière.