Hubert Reeves

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Émission du 12 février 2006

Les neutrinos sont des particules de très faible masse. Ils n'ont pas de charge électrique ; comme leur nom l'indique, ils sont neutres. Ils interagissent très peu avec la matière. Il est possible de s'en faire une idée en les comparant aux particules de la lumière, les photons. Un simple abat-jour en carton suffit à diminuer considérablement le flux lumineux, donc de photons, d'une lampe. Pour obtenir le même résultat avec une source de neutrinos, il faudrait interposer un écran de plomb de plusieurs années-lumière d'épaisseur. Cette « discrétion » est à la fois un avantage et un inconvénient.

Avantage parce que ces neutrinos nous donnent des renseignements sur des lieux d'où nulle autre particule ne peut nous parvenir. Nous en verrons bientôt quelques exemples.

Inconvénient, parce qu'ils sont extrêmement difficiles à détecter. Les mesures nécessitent une instrumentation très sophistiquée et de très grande dimension. Nous comptons aujourd'hui sur la planète une dizaine de télescopes à neutrinos en opération. Plusieurs autres sont en construction.

Des neutrinos sont émis par des réactions nucléaires dans les laboratoires. Ils ont été détectés pour la première fois, en 1956, au voisinage d'un réacteur à Savannah River aux États-Unis.

Quelques années plus tard, la détection de neutrinos en provenance du Soleil a été un grand moment de l'astronomie. Elle apportait une réponse définitive à la question : d'où le Soleil tire-t-il son énergie ? Les travaux des théoriciens avaient montré que, selon toute vraisemblance, des réactions nucléaires dans le cœur torride des astres en étaient la source. Là on en avait la preuve expérimentale. En science, on est toujours à la recherche de confirmations empiriques. Ces neutrinos en apportaient la preuve.

Le Soleil nous inonde de ces neutrinos. À chaque seconde, quarante cinq milliards de neutrinos en provenance de notre étoile traversent notre corps sans que nous en ressentions le moindre effet. Preuve de leur immense discrétion.

On observe en permanence le flux de neutrinos qui arrive de l'astre solaire, et qui nous donne accès à son cœur même. La lumière que les télescopes optiques reçoivent ne provient que de sa surface. En combinant ces techniques, nous avons maintenant une connaissance précise de l'état de la matière (température, pression, composition chimique, champ magnétique) dans tout le volume de notre étoile.

Comme le Soleil, les étoiles émettent de grandes quantités de neutrinos. Les flux sont particulièrement intenses lors de l'explosion qui marque la mort des étoiles massives (supernova). En 1987, une supernova d'une grande brillance optique (trente millions de fois la luminosité du Soleil) a éclaté dans le Grand Nuage de Magellan, une petite galaxie située à 170 mille années-lumière de nous. Cet événement a été accompagné d'un puissant jet de neutrinos que nos instruments ont détecté. Les observations combinées de ces particules et de la lumière (photons) nous ont permis d'étudier ce phénomène comme jamais auparavant on n'avait pu le faire.