Hubert Reeves

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Le drame des réfugiés climatiques

Pour l’évolution de la notion d’humanisme

Publié le 6 avril 2014 dans Le Point.fr

Pour Hubert Reeves, les menaces que fait peser sur notre avenir la crise écologique contemporaine pourraient nous mener à notre perte.

Lac
Photo d’illustration. © Cyriel Martin / Le Point.fr

L’ouverture récente des archives du Kremlin nous a apporté des informations précieuses sur la guerre froide de la fin du siècle dernier. Je voudrais ici commenter un événement sur lequel il importe de réfléchir pour en tirer des leçons. La scène se passe le 25 septembre 1987, près de Moscou, au poste de contrôle des ogives balistiques chargées des bombes atomiques dirigées vers l’Occident. L’officier Stanislav Petrov aux commandes de l’arsenal reçoit un message : Une salve de cinq fusées américaines vraisemblablement chargées de bombes atomiques vient d’être détectée en direction de notre territoire. Il a quinze minutes pour prendre une décision. Analysant la situation, il décide de ne pas intervenir.

Il dira simplement, plus tard : Je ne voulais pas déclencher une troisième guerre mondiale. Il a eu raison : c’était une fausse alerte déclenchée par des reflets du soleil sur des nuages de haute altitude. Pour son inaction, Petrov fut blâmé par sa hiérarchie mais obtint, quelques années plus tard, une distinction de l’Association of World Citizens, au titre de sauveur de l’humanité. En 1924, Paul Valéry écrivait : Nous autres, civilisations, nous savons que nous sommes mortelles. Maintenant, nous découvrons que l’humanité entière est mortelle. Pendant quinze minutes son sort a dépendu du jugement d’un seul homme !

Rendre Descartes obsolète

La guerre froide est terminée. Le spectre d’une guerre nucléaire paraît bien éloigné même si un retournement de la situation politique est toujours possible. Selon la formule de la SNCF, un train peut en cacher un autre. Les menaces que fait peser sur notre avenir la crise écologique contemporaine pourraient, si elle n’est pas rapidement contrôlée, nous amener également à notre perte. Dans les deux cas, guerre nucléaire ou détérioration de notre habitat, la cause est ultimement reliée à une utilisation désastreuse des technologies que notre fabuleuse intelligence a inventées.

Cette faculté a permis aux premiers humains de survivre dans une nature hostile où il fallait manger et n’être pas mangé. Le rôle de l’intelligence, au départ bénéfique, pourrait aujourd’hui, avec l’apparition des armes atomiques et des technologies destructrices de la biodiversité, nous être fatal. Ces considérations déterminent la voie à suivre pour assurer notre survie dans de bonnes conditions. Il y a impérieuse nécessité à revoir le rôle accordé aux manifestations de l’intelligence dans nos interactions avec les autres espèces vivantes et les milieux naturels.

Il s’agit de rendre obsolète la formule de Descartes invitant à devenir maître et possesseur de la nature. Nous apprenons aujourd’hui, et à nos frais, que l’application de cette formule mènerait inéluctablement à notre perte. Il faut maintenant intégrer dans la notion d’humanisme la nature entière — humains mais aussi plantes, animaux, terres, atmosphère et océans — et apprendre à vivre en harmonie avec elle.