Hubert Reeves

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Rien n’est plus merveilleux que l’homme

Ma déclaration d’amour à l’être humain !

Publié le 12 mai 2014 dans Le Point.fr

Halte au pessimisme. En dépit de tous ses défauts, il est justifié, aux yeux d’Hubert Reeves, de vouloir préserver et privilégier l’espèce humaine.

Grizzlis
Des grizzlis dans le parc national américain de Yellowstone (photo d’illustration). © Karen Bleier/AFP

Une de mes amies, amatrice de nature sauvage, s’est trouvée récemment en grand danger. Elle randonnait dans une forêt du Grand Nord canadien avec son enfant et un guide forestier. Soudain, elle a vu venir vers eux un ours grizzli. Ces animaux ont la réputation d’être imprévisibles. Celui-là paraissait vouloir s’en prendre à l’enfant. Terrorisée, elle demanda au guide d’abattre l’ours avec sa carabine, ce qui fut fait. Soulagement !

Pourtant, tentons de prendre de la distance vis-à-vis de cet événement. Oublions momentanément nos préjugés quant à la prétendue supériorité des humains sur les animaux. Voici deux êtres vivants, l’ours et l’enfant, issus tous deux de l’évolution biologique. N’ont-ils pas un droit égal à l’existence ? Quel argument pourrait-on invoquer pour choisir, pour décider d’épargner l’un plutôt que l’autre ? Les réponses varient, mais tous, je pense, nous serions d’accord pour approuver la décision de la maman.

Un aveu de partialité

Cette question met bien en évidence l’importance de l’affectif dans la conduite de la vie humaine. Un point de vue tout fait dans l’esprit d’Albert Camus. C’est par une sorte de solidarité familiale que nous choisissons de privilégier nos congénères, surtout quand ils nous sont très proches. Nous nous devons de l’avouer pour garder une certaine cohérence à notre vision du monde.

Dans nos jardins, nous choisissons d’éliminer les plantes et les animaux dont nous ne voulons pas au profit de celles et ceux que nous préférons. Nous avons tendance à qualifier de mauvaise herbe ou d’animaux nuisibles des êtres que, pour des raisons purement subjectives, nous choisissons d’écarter.

Cet aveu de partialité est important quand on aborde la question de la vie humaine. Il semble assez crédible que la vie terrestre ne va pas s’éteindre à cause de nous. Les études récentes en biologie montrent que la vie est extrêmement robuste. Elle peut s’adapter à des conditions extrêmes. Notre activité, aussi saccageuse soit-elle, n’arrivera vraisemblablement pas à en éliminer toute trace. Le monde du vivant évoluera comme il l’a toujours fait. Mais qu’en sera-t-il de nous et de nos œuvres ?

Notre incontestable supériorité

Je pense qu’il serait dommage de laisser disparaître les humains (même si, alors, il ne resterait plus personne pour le déplorer)… Ils n’ont pas fait que des bêtises. Ils ont accompli des œuvres sublimes qu’aucune autre espèce n’a pu réaliser.

Aucune espèce — sinon la nôtre — n’a écrit des quatuors tels ceux de Brahms, n’a peint des tableaux comme ceux de Vermeer ou de Gauguin... Qui d’autre que notre espèce a pu élucider les mystères de la force de gravité et de l’électromagnétisme ? Qui a reconstitué le scénario de l’histoire de l’Univers et déposé des sondes sur la Lune et sur Mars ? Qui s’est ému de la souffrance de ses congénères et aussi de celle d’autres animaux ? Qui a inventé le bistouri et développé les techniques de la médecine et de la chirurgie pour soigner les malades ? Les lions s’intéressent aux gazelles blessées, mais ce n’est pas pour les soigner…

Pour toutes ces raisons, il me paraît justifié de vouloir préserver et, ultimement, privilégier l’espèce humaine. Et de plus, il y a parmi nous des enfants et des petits-enfants auxquels nous sommes attachés !