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L’awe, une émotion à haut risque

Publié le 12 août 2014 dans Le Point.fr

Ce mot anglais difficile à traduire signifie un mélange de terreur et d’admiration. À la source du sentiment religieux, faut-il souhaiter sa disparition ?

Albert Einstein
Albert Einstein privilégiait le sens du mystère. © The Art Archive / Culver Pictures

Par sa sonorité et le mouvement de la bouche qu’il provoque quand on le prononce, le mot anglais awe est d’une grande dimension évocatrice. Il est difficile de le traduire en français. On l’associe à la terreur et l’effroi. Mais sa portée va bien au-delà de ces affects. Dans un dictionnaire anglais, j’ai trouvé cette définition : To inspire with reverential wonder, combined with latent fear que je traduis par : ce qui inspire émerveillement, révérence et terreur latente. Et j’ajouterais : qui peut engendrer de la vénération.

Comment vit-on le fait d’être soudain frappé par une expérience qui entraîne l’awe ? Les réactions sont différentes. Elles caractérisent surtout la personnalité de celle ou celui qui l’éprouve.

Certains apprécient et même adorent… Ils en font par la suite le sens de leur vie, la justification de leurs convictions. Je pense à Saint Paul sur le chemin de Damas, à Paul Claudel près de son pilier de la cathédrale Notre-Dame de Paris… Je pense aussi au poète américain Walt Whitman, à ses mots sublimes : A leaf of grass is miracle enough to stagger sextillions of infidels que je traduirais par Un brin d’herbe est suffisamment merveilleux pour terrasser des myriades d’infidèles 

Le sens du mystère

Pour d’autres, éprouver cette émotion serait insupportable. Ils la redoutent et cherchent à l’éviter par une attitude de refus systématique. On la rencontre chez certaines personnes peu émotives pour lesquelles la rationalité est l’ultime instance. Cette position mentale est le meilleur bouclier contre l’intrusion de l’awe dans la vie courante.

J’ai trouvé, à ce sujet, un texte du physicien américain Steven Weinberg à propos des tensions qui existent traditionnellement entre les sciences et les religions. Considérant que l’awe est une des sources profondes des sentiments religieux, il verrait favorablement son déclin et sa disparition du registre des émotions humaines. Je pense personnellement qu’il en résulterait aussi un appauvrissement de la vie. Les humains perdraient la possibilité de percevoir et de s’exalter devant le grand spectacle de l’Univers. Les religions, on le sait, peuvent être à la fois les sources du meilleur et du pire.

Je préfère les mots d’Albert Einstein : Le plus beau sentiment du monde, c’est le sens du mystère. Celui qui n’a jamais connu cette émotion, ses yeux sont fermés.