Hubert Reeves

Site officiel

Billet
précédent :

Changement climatique : la politique des petits pas

Billets de bonne humeur

Billet
suivant :

Rosetta : bonnes nouvelles des étoiles ?

Sommes-nous si peu de chose ?

Publié le 5 novembre 2014 dans Le Point.fr

L’histoire de l’humanité n’occupe qu’une fraction infime de l’histoire du cosmos. Mais cette brièveté masque bien autre chose.

Espace
Photo d’illustration. © Esa

Un empereur chinois, amateur d’oiseaux, demande un jour, à un peintre de la cour, de lui faire le dessin d’un rouge-gorge. Le peintre lui promet de se mettre à l’ouvrage mais refuse de donner une date d’achèvement de son travail. L’empereur revient souvent aux nouvelles, mais sans succès. Après de nombreuses années, il s’impatiente, pénètre dans l’atelier et aperçoit le peintre devant une toile blanche. Tu t’es moqué de moi, tu mourras, lui dit l’empereur. Accorde-moi encore quelques secondes, répond le peintre. Il prend son pinceau et, d’un trait, dessine le plus sublime rouge-gorge.

Aux échelles de temps du cosmos, les humains sont très récents. Au siècle dernier, quand on a pris conscience des gigantesques durées de la vie terrestre, la courte durée des humains dans l’existence a été souvent prise comme une preuve de l’insignifiance de notre espèce sur la Terre. Sur ce sujet, l’écrivain américain Mark Twain effectuait une comparaison avec la Tour Eiffel : Par rapport à ses trois cents mètres, notre durée est, disait-il, tout juste comparable à l’épaisseur de la couche de peinture à son sommet.

L’intelligence, cadeau empoisonné ?

Aujourd’hui, grâce aux nouvelles connaissances scientifiques, nous avons un autre regard sur la situation. Nous connaissons le long trajet évolutif qui s’est traduit par la croissance de la complexité cosmique de l’atome à la cellule primitive et à l’apparition de l’intelligence et de la conscience. Nous connaissons l’immense durée de vie des étoiles qui fabriquent les atomes dont nous sommes composés. Nous pouvons suivre l’augmentation de la concentration de l’oxygène atmosphérique, nécessaire à la vie, l’apparition des organismes de plus en plus structurés et en particulier à la sortie des eaux. Chaque chapitre de l’évolution de la vie occupe des centaines de millions d’années. Il fallait tout cela pour arriver à la conscience. Cette connaissance rend caduque la valeur de l’argument de Twain selon lequel notre brève existence nous réduirait à l’insignifiance. L’humanité profite de tout ce qui l’a précédée.

La futilité de cette dépréciation prend encore plus de relief si on introduit dans nos considérations la crise écologique contemporaine. Quelques siècles de révolutions industrielles ont suffi à l’humanité pour atteindre la possibilité de se saborder elle-même, entraînant dans le naufrage une fraction importante de la faune et de la flore. L’apparition sur notre planète d’une puissance si considérable et la menace qu’elle fait peser sur l’avenir suffisent à montrer l’importance capitale de notre espèce dans l’évolution de la vie terrestre, même si elle est tardive : quelques secondes sur un calendrier réduit à un an ! C’est bien cette menace que nous avons aujourd’hui le devoir et la responsabilité de gérer pour préserver notre présence sur la Terre …

Beaucoup plus significative que notre courte durée dans l’existence serait la longueur de notre durée future. L’argument, dit d’Enrico Fermi, un physicien italien du XXe siècle, au sujet de l’absence d’extraterrestres parmi nous mérite d’être mentionné. Cet argument se formule en termes de la menace autodestructrice qu’implique la puissance de la technologie engendrée par notre intelligence. Illicite, la question : combien de temps une civilisation technologique peut-elle survivre à sa puissance nucléaire ? Notre durée future est au cœur de nos préoccupations écologiques. Elle décidera pour nous si l’intelligence acquise par nos lointains ancêtres homo sapiens était, ou non, un cadeau empoisonné.