Hubert Reeves

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Article paru dans La Vie N°3075 du 5 août 2004


Hubert Reeves et Dominique Bourg

Au chevet de la planète Terre

Mon premier est astrophysicien, mon second philosophe. Ils viennent de publier chacun un livre destiné à réveiller la conscience des Terriens. Venus sur le tard à l'écologie, le combat pour la Charte de l'environnement les a réunis. Durablement. Par Olivier Nouaillas

«Je ne vois pas Hubert Reeves défendre une solution “zinzin”. C'est cela que j'apprécie en lui : des convictions écologiques basées sur une grande rigueur scientifique. Avec en plus, dans son cas, une ouverture spirituelle, une recherche de sens.» Assis sur un canapé de l'appartement parisien du célèbre astrophysicien canadien, avec une vue imprenable sur les toits de SaintGermain-des-Prés, Dominique Bourg, 50 ans, et Hubert Reeves, 72 ans, parlent ensemble depuis une bonne heure de ce qui les a réunis : le combat (presque gagné) pour la Charte de l'environnement, bientôt inscrite dans la Constitution française.

Parcours croisés
Hubert Reeves
1932 Naissance à Montréal (Canada).
1955 Diplômé en physique atomique (Montréal).
1960 Diplômé en astrophysique nucléaire (New York).
1965 Directeur de recherches au CNRS (Paris).
1984 Poussières d'étoiles (Seuil).
1986 L'Heure de s'enivrer (Seuil).
2003 Mal de Terre, avec Frédéric Lenoir (Seuil).

Dominique Bourg
1953 Naissance à Tavaux (Jura).
1972 Études de philosophie à Strasbourg puis à Paris.
1996 L'Homme-artifice. Le sens de la technique (Gallimard).
1997-2002 Directeur du département «technologie et sciences de l'homme» à l'université de technologie de Troyes.
1999 Pour que la Terre reste humaine, avec Nicolas Hulot et Robert Barbault (Seuil).
2001 Parer aux risques de demain. Le principe de précaution, avec Jean-Louis Schlegel (Seuil).
2003 Le nouvel âge de l'écologie (Descartes et Cie).

Leur première rencontre ne date pourtant que du début des années 2000. Dans un amphithéâtre bondé de l'université de Troyes où Dominique Bourg enseigne la technologie et les sciences de l'homme, Hubert Reeves donne une conférence sur les étoiles, l'Univers… «En France, ils ne sont que quatre à pouvoir tenir un auditoire en haleine : Pelt, Coppens, jacquard et… Reeves», confie, toujours sous le charme, Dominique Bourg. Si ces deux-là avouent aujourd'hui leur même souci pour l'avenir de la planète, ils ont également en commun d'être venu tard à l'écologie. «Quand j'étais étudiant au Canada dans les années 1960, l'environnement n'était pas une préoccupation majeure. J'étais moi-même un défenseur de l'énergie nucléaire, reconnaît Hubert Reeves. C'était une période euphorisante : on la voyait comme une énergie gratuite qui mettrait fin à la pauvreté. Je ne suis venu à l'écologie qu'à la fin des années 1980, quand j'ai pris conscience que, bien plus que la terreur nucléaire – je parle de l'époque de la guerre froide –, c'est l'impact des activités de l'homme sur la Terre qui menace désormais l'humanité.»

Même prise de conscience tardive chez Dominique Bourg, pourtant d'une autre génération : «Certes, au début des années 1970, quand j'étais étudiant à Strasbourg, je lisais de petites publications écologistes comme Survivre ou Vivre ou encore le bouquin de Jean Dorst sur la Nature dénaturée, mais j'étais avant tout passionné par la philosophie. Et, pendant les dix premières années de ma vie d'enseignant, je ne me suis absolument pas préoccupé d'environnement. J'y suis revenu par la critique de l'idéologie du progrès, tout ce lobby scientifique qui n'accepte pas d'être questionné. Avec Hubert, nous l'avons constaté encore récemment avec l'opposition farouche de l'Académie des sciences à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution.»

Comme s'ils s'étaient donné le mot, Dominique Bourg et Hubert Reeves ont publié chacun un livre destiné à alerter l'opinion publique, des ouvrages empreints des mêmes préoccupations pour l'environnement : Pour que la Terre reste humaine pour le premier (écrit en collaboration avec Nicolas Hulot) et Mal de Terre pour le second. «Nous avons la conviction commune que les gouvernements ne réagiront que sous la pression de ceux qui subissent déjà les dommages du changement climatique. Comme les Français avec la canicule de l'été 2003», souligne Hubert Reeves. «Les médias ont peu dit que ce n'est pas seulement la chaleur qui a tué les gens, mais aussi la pollution à l'ozone», renchérit Dominique Bourg.

Deux photos: Dominique Bourg et Hubert Reeves
JEAN-FRANÇOIS JOLY POUR LA VIE
Une génération les sépare, mais Dominique Bourg (à gauche) et Hubert Reeves
se préoccupent tous deux de l'avenir de la planète.

Photo: Dominique Bourg et Hubert Reeves Photo: Hubert Reeves Photo: Dominique Bourg

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Humanistes, tous deux partagent la même aversion pour le radicalisme. Autant hostiles à la «Deep Ecology» – l'écologie profonde, ce courant fondamentaliste anglosaxon qui place la nature avant l'homme – qu'à certains errements idéologiques chez les Verts. «Je suis pour la stratégie des petits pas et je ne m'explique pas comment les trois députés Verts se sont abstenus au moment du vote de la Charte de l'environnement relève, encore étonné, Hubert Reeves. D'ailleurs, je pense que l'écologie doit être la préoccupation de tout le monde et ne pas être confinée à un seul parti.» Pragmatisme donc. À l'image de Sudbury, ville de l'Ontario, qu'Hubert Reeves a découverte dans les années 1970, «hyperpolluée, sale, repoussante, avec ses mines de cuivre, ses cancers…» Et puis celle d'aujourd'hui, qui s'est lancée dans le développement durable, et qu'on visite «pour ses espaces verts, ses arbres replantés, ses emplois technologiques». Ou de la ville de Troyes, chère à Dominique Bourg, où une charcuterie industrielle – celle qui fabrique la fameuse andouillette – a diminué de 40 % sa consommation de gaz tout en valorisant, par fusion thermique, ses 850 tonnes de déchets graisseux, réduisant ainsi ses problèmes d'équarrissage.

«La planète Terre va mal, mais tout n'est pas foutu», insiste une dernière fois Hubert Reeves. Épisode peu connu de sa vie, c'est lui qui, en 2001, a succédé au regretté Théodore Monod à la tête du Roc, le Rassemblement des opposants à la chasse. Pour aussitôt transformer son intitulé en Ligue Roc pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs (1). «Je ne suis pas un opposant systématique à la chasse, explique-t-il, et surtout, je veux montrer que nous nous battons pour quelque chose et non contre.» Avec conviction. Quelques jours avant notre entretien, et sans le lui dire, Dominique Bourg venait d'adhérer, pour vingt euros, à l'association d'Hubert Reeves, son premier véritable engagement associatif…

(1) Ligue Roc pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs,
26, rue Pascal, 75005 Paris.