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Haute-Savoie : faut-il sauver les bouquetins du Bargy ?

Publié le 10 septembre 2014 dans Le Point.fr

Les éleveurs craignent que les troupeaux ne soient contaminés par une maladie dont sont porteurs les bouquetins et réclament leur éradication.

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Le bouquetin est une espèce protégée depuis 1982. © Franck Guiziou/Hemis.fr/AFP

Dans la réalité, il arrive parfois que deux objectifs respectables s’opposent. Il peut y avoir de bons arguments en faveur de l’un et de l’autre. Il devient alors nécessaire de choisir. Cet été, un de mes billets commençait ainsi. J’exposais le cas des dauphins Maui sacrifiés pour des forages pétroliers.

Aujourd’hui, restons en France… Des bouquetins ont établi leurs pénates dans le massif du Bargy, en Haute-Savoie. Et deux camps s’opposent : des défenseurs des bouquetins d’un côté, des éleveurs de l’autre, qui réclament leur abattage. Les documents récoltés par nos scientifiques, experts d’Humanité & Biodiversité, m’ont éclairé.

Veuillez m’excuser d’aborder un dossier un peu technique, mais cela est ici nécessaire.

Abattage total

Certains bouquetins ont la brucellose, maladie contagieuse dont l’impact économique est important quand elle se répand dans des élevages d’ovins ou de bovins. Et cette maladie peut infecter des humains… Conclusion : maladie grave. Elle est d’ailleurs inscrite dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Le bouquetin est, en France, une espèce protégée depuis 1982 (l’espèce a dû être réintroduite tant elle fut chassée). Mais il y a une raison à l’abattage demandé : il résulte de la présence effective, en 2012, de la bactérie du genre Brucella dans une exploitation laitière du sud du Bargy… la bactérie étant passée des bouquetins aux bovins.

Alors, un arrêté préfectoral, pris en octobre 2013, autorisa les abattages en le restreignant aux animaux de plus de cinq ans… Vaste opération et les cadavres furent évacués par hélicoptère. Des éleveurs font maintenant une demande d’abattage total des bouquetins dans ce massif. Le fait que les animaux sauvages jouent le rôle de réservoir infectieux pose un problème et il faudrait, selon eux, les éradiquer jusqu’au dernier.

Tel est le problème. Nous admettons qu’il faille éliminer le réservoir de la bactérie dans le seul massif où il existe. Oui, mais comment ?

Une contamination accidentelle

Le dossier a été ouvert avant la nomination de madame Royal. À l’époque, la décision initiale d’abattage a été prise contre l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN). Et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), saisie en juillet 2013 par les ministres de l’époque (Écologie et Agriculture), a remis ses avis. On peut en conclure que le risque de transmission de la brucellose aux cheptels domestiques reste minime, l’infection étant circonscrite aux seuls bouquetins de ce massif, ce qui restreint donc beaucoup la probabilité d’une contamination. Celle d’un cheptel domestique qui s’est produite en une unique circonstance sur douze ans de cohabitation des animaux domestiques et de la faune sauvage correspondrait plutôt à un événement de type accidentel et exceptionnel. Et l’Anses précise que son analyse ne permet pas de confirmer la nécessité de mettre en œuvre dans l’urgence les actions d’abattage envisagées.

Depuis, certaines personnes parlent d’un test qui permettrait une détection rapide sur le terrain : sa fiabilité serait assurée et il suffirait d’anesthésier l’animal pour savoir s’il doit être abattu ou épargné. D’autres parlent de vaccination…

Certes, c’est aux deux ministres actuels de décider, mais est-il bien raisonnable de demander des avis pour ne pas en tenir compte ? D’autant que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a, en 2014, désigné l’Anses comme centre de référence pour la brucellose, reconnaissant ainsi le travail de cette agence…

Protéger l’élevage, il le faut. Oui ! Mais il importe aussi de minimiser les torts faits à la vie sauvage.