Hubert Reeves

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Dame Nature nous veut-elle du bien ?

Cette question peut se décliner sous différents aspects.

D’abord envisageons l’existence d’une transcendance cosmique, une sorte de principe impersonnel comme en évoquent Einstein, Spinoza et les taoistes, une entité qui organise la matière selon des lois immuables … Inutile de l’honorer, de la prier, d’espérer un signe : il n’y a personne au bout de la ligne. Cette vision de la transcendance aurait été tout à fait adaptée à la période qui s’étend du Big Bang à l’apparition de la vie sur Terre, il y a 3,8 milliards d’années. Après cette période, ce n’est plus si évident : d’autres facteurs entrent en jeu.

Envisageons maintenant la possibilité d’une nature personnalisée. La nécessité pour les animaux prédateurs de tuer pour se nourrir et le fait que tous les coups sont permis (nature rouge de griffes et de dents selon Heackel) laissent planer un doute sur ses dispositions à notre égard. Pourtant, qui a vu l’incroyable délicatesse avec laquelle la mère crocodile transporte ses fragiles nouveaux nés entre ses dents acérées, pourrait supposer la présence d’une composante affective dans la vie animale. Mais la théorie de l’évolution fondée sur la sélection naturelle explique de tels comportements : il s’agit d’assurer la survie de la progéniture.

L’étape suivante de l’histoire se situe il y a moins de dix millions d’années avec l’apparition de la compassion chez les hominiens. Quelle que soit l’explication qu’on accorde à ce comportement, il reste un fait incontournable : la nature a engendré un être sensible à la souffrance des autres humains même sans lien de parenté direct, et aussi à la souffrance des animaux, et qui tente de la réduire.

Corollaire important : Homo sapiens se rend compte du fait que, par sa propre activité, son avenir et celui de ses descendants sont en péril. Il peut s’investir pour essayer de conjurer ce funeste sort. Ce fait ouvre une importante fenêtre sur la comportement de la nature : notre prise de conscience de la possibilité d’agir pour nous tirer du mauvais pas signifie que, quelque part, la nature nous veut du bien.

(13 novembre 2011)