Hubert Reeves

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4 mai 2005
(1ère lettre à propos des îles Galapagos)
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Lettre éditoriale du 12 juin 2005

2ème lettre à propos des îles Galapagos

Paris, le 12 juin 2005.

Chers amis,

Il était moins cinq …

Les Galapagos : un lieu pour reprendre espoir en l'avenir de la vie sur la Terre. On y constate la réalité d'un changement de comportement des êtres humains ; on y mesure le virage récemment amorcé, son importance et sa visibilité indéniables.

Ce mouvement interrompt heureusement la longue histoire de l'influence nocive des humains sur la nature depuis l'époque des grandes explorations. L'arrivée des humains dans des îles peu ou pas habitées déclenchait systématiquement une dégradation de la situation, et en particulier une érosion profonde de la biodiversité.

La capture des tortues géantes — réalisée avec un simple bâton qui permettait de mettre les animaux sur le dos et de les emporter comme réserves alimentaires dans les cales des bateaux —, l'introduction de chèvres et de porcs laissés en liberté pour assurer le ravitaillement lors des prochaines escales, et celle des rats délogés par enfumage des embarcations, sont autant de faits responsables de la raréfaction d'espèces. Les oiseaux nichant au sol (albatros, fous à pattes bleues, cormorans aptères), les reptiles (tortues et iguanes), les otaries, en ont été victimes là comme dans de nombreux autres territoires insulaires, en Océanie et ailleurs.

Il se trouve qu'aux Galapagos, quelques rares îles, comme Fernandina par exemple, n'ont jamais reçu d'espèces invasives. Et leur richesse a provoqué une prise de conscience du désastre subi par les autres ayant subi ces invasions. Et là se situe le revirement récent de l'attitude des humains responsables de ces lieux. Ils ont affiché leur volonté de réhabiliter leurs îles, décidé de gestes concrets destinés à régénérer la flore et la faune locales. Et aujourd'hui, les Galapagas sont devenues un Parc National inscrit au patrimoine de l'Unesco.

On y a établi des fermes de tortues où les petits animaux de différentes espèces sont protégés jusqu'à ce qu'ils atteignent une taille les mettant à l'abri des rats. Le repeuplement des îles sinistrées est en bonne voie. Le tourisme, permis sur certaines îles, est sévèrement réglementé. Des sentiers balisés permettent l'accès à une petite fraction du territoire aux visiteurs accompagnés de guides veillant au respect du site. Et personne ne songe à quitter les sentiers ou à s'approcher des animaux. Aucune plante, aucun coquillage ne peut être emporté hors des îles : des chiens dressés à reconnaître les odeurs inspectent les bagages à l'aéroport.

Les dommages inhérents au tourisme (même « éco ») sont compensés par les sommes versées pour l'accès et qui permettent le fonctionnement des fermes de tortues et financent la protection. Les chercheurs impliqués montrent un enthousiasme qui fait plaisir.

Ce changement de comportement à « moins cinq » laisse une impression forte. Il restait encore (mais pour combien de temps, si rien n'avait été fait ?) quelques îles intactes. Cette évolution, après des siècles de déprédation systématique et irresponsable, cette prise de conscience aiguë de la gravité de la situation, ces efforts concrets, évidents dans tout l'archipel donnent confiance en l'avenir de la nature et de l'humanité. Assister en direct à cette transformation ajoute singulièrement aux plaisirs de ces merveilles de la nature que procure la visite des ces « îles enchantées » : pures merveilles.

Bien sûr, il reste de nombreux problèmes, et l'avenir même du projet « Darwin » est incertain. Des pressions sont exercées pour accroître le tourisme et réduire les contraintes. Des hommes politiques, poussés par des entreprises cupides, tentent continuellement d'augmenter le nombre des touristes permis et la corruption est toujours présente. Malgré l'interdiction totale, une immigration clandestine se poursuit sur certaines îles.

Nous avons là, en modèle réduit, la situation conflictuelle mondiale entre ceux qui veulent préserver la vie sur la Terre et ceux qui n'ont en vue que le profit à court terme. Mais les gestes concrets et les résultats tangibles obtenus ici, récompensés par la splendeur des spectacles de ce jardin botanique et zoologique sans clôture, redonnent confiance. Puisse ce court récit mobiliser des énergies en faveur du vivant !

Amicalement,

Signature d'Hubert Reeves