Hubert Reeves

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Article paru dans L'Est-Éclair du 10 janvier 2004

L'Est-Éclair


Hubert Reeves : le scénario
de notre disparition

L'astrophysicien, invité par l'Université de Technologie de Troyes, n'a pas caché son inquiétude face à l'évolution de notre planète et au comportement autodestructeur de l'espèce humaine

Hubert Reeves (photo illustrant l'article)
Hubert Reeves : « L'issue de Ia crise dépend de nous »
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n petit homme, presque frêle, immobile dans un fauteuil en attendant l'arrivée du public. Plus de 850 personnes réunies au sein de l'Université de Technologie. S'il n'y avait eu cette barbe et cette chevelure blanches, personne peut-être ne lui aurait prêté attention. Au moins jusqu'à ce qu'il parle. Car alors, chacun reconnaît le talent d'un scientifique qui raconte une histoire extraordinaire, la nôtre. Une histoire qui a connu un commencement, mais qui pourrait bien flirter avec sa fin.

Dans un discours très accessible, évitant toute référence trop technique, il a su passionner les Aubois en évoquant ce qui pourrait devenir un scénario catastrophe. Sauf que contrairement au monde virtuel du cinéma et des jeux électroniques, celui-ci pourrait bien se concrétiser. Pas dans mille ans, mais dans quelques dizaines d'années. « Notre espèce n'est pas maudite – lance-t-il en réponse à une question du public – mais elle traverse une crise grave. Son issue n'est écrite nulle part. Elle dépend de nous ».

Hubert Reeves situe cette crise à l'extrémité – provisoire – de l'évolution de l'univers. Celui-ci serait âgé de 13,7 milliards d'années. Et depuis sa naissance, il ne cesse de se modifier, contrairement à ce que pouvait penser Aristote. À ses débuts, il était dense, très chaud, très lumineux. Et il ne comptait que des particules élémentaires qui se sont progressivement associées pour, au fil des millénaires, former des molécules vivantes. Ce que les scientifiques appellent la croissance de la complexité.

Phase d'extinction

« On est passé d'une forme chaotique à ce qu'il y a de plus complexe, le cerveau humain, avec quarante milliards de neurones ». Mais cette intelligence est-elle un cadeau empoisonné ? Cette question taraude d'autant plus l'astrophysicien que l'histoire de notre univers a connu cinq phases d'extinction, y compris celle des dinosaures.

Aujourd'hui, il nous annonce une sixième phase d'extinction, et l'homme en est responsable. « En 2050, 25 à 30 % des espèces animales et végétales auront disparu », pronostique-t-il en s'appuyant sur les études les plus sérieuses.

« L'homme est la cause de ce phénomène. Il en est aussi la victime potentielle, et le sauveur potentiel ».

Image du public
Un nouveau succès pour le cycle de conférences organisé par l'UTT

Comment alors envisager l'avenir ? « Cela peut passer par l'élimination de l'être humain. Les animaux préféreraient. Sinon, il faut que le comportement des hommes soit plus réfléchi ». Le problème, c'est notamment l'augmentation du taux de gaz carbonique qui provoque le fameux effet de serre et participe au réchauffement de la terre, avec toutes les conséquences que l'on décèle déjà dans les aléas du climat : tempêtes, inondations et sécheresses. « En cent ans, nous aurons consommé ce que la terre a mis trois cent millions d'années à créer, les forêts sont détruites ou menacées, les réserves des mers s'épuisent », égraine-t-il avec une certaine résignation.

L'humanité a-t-elle alors encore un avenir ? Hubert Reeves reconnaît tout ce que l'homme a pu faire de grandiose, et les capacités qui sont encore les siennes. Mais comment continuer à ce rythme d'autodestruction ? Il place ses espoirs dans une prise de conscience écologique qui se bâtit lentement, au fil des sommets – Rio, Kyoto – même si les résultats sont encore insuffisants. Il suggère de privilégier le train à la voiture, de ne pas abuser de la climatisation, et d'éviter les situations de misère. Celle-ci « serait un excellent terreau pour le terrorisme », devait-il conclure.

Jean-François LAVILLE