Hubert Reeves

Site officiel

Allocution d'ouverture
prononcée par Hubert Reeves,
à l'occasion de l'Assemblée générale de la Ligue ROC,
le samedi 25 février 2006.



Pourquoi sauver la biodiversité ?

J'aime regarder les reportages sur la nature à la télévision. Grâce aux progrès de la technique et à la patience des caméramans, nous pouvons voir les animaux dans leurs comportements les plus intimes et les plus secrets.

Pourtant, j'éprouve souvent un malaise face au thème incontournable et récurrent de la tuerie alimentaire. Hécatombes des petites tortues happées sur les plages par les gracieuses frégates noires. Gazelle boiteuse, déchirée par la lionne et dévorée goulûment par les lionceaux mignons et voraces.*

La liste semble sans fin de la panoplie des armes meurtrières (becs puissants des hérons, griffes acérées des aigles, mâchoires redoutables des requins), et de la diversité des techniques (camouflages parfaits, injections de poisons, décharges électriques). Le résultat est toujours le même : les mises à mort sont efficaces et sans merci.

Et la question revient, lancinante : est-ce pour perpétuer cela que nous devons sauver la biodiversité et préserver la faune sauvage ?

Prenons la situation de plus haut. Voyons notre Terre. Elle seule, dans notre système solaire, héberge la vie. Elle foisonne de millions d'espèces animales et végétales. Le contraste est grand avec les autres planètes dont le sol est sec, aride, et désertique.

Nul ne sait comment la vie est apparue sur la Terre il y a quatre milliards d'années. Mais nous connaissons les facteurs qui en assurent la pérennité : l'alimentation qui apporte énergie et nutriments, la reproduction qui permet à la lignée de durer.

Nous savons maintenant que les gènes jouent ici un rôle fondamental. Les êtres naissent et se développent grâce à ceux qu'ils ont reçus de leurs parents. Toute leur vie, ils les entretiennent et les transmettent à leur tour.

Dans cette optique, on peut considérer leurs comportements comme les éléments d'une logistique de transmission des gènes. C'est en son nom que la mise à mort des animaux malades, plus facilement prélevés par les prédateurs, « assainit » le patrimoine génétique. Une sorte de mécanique implacable qui impose les images parfois sanglantes des documentaires.

Cette organisation est fondamentale pour que la vie continue sur Terre. Force nous est de reconnaître que nous lui devons la nôtre ! Vu sous cet angle, sauver la biodiversité, c'est aussi manifester notre reconnaissance à cette logistique pour le fait d'exister, aujourd'hui, ici et maintenant.

Un élément complémentaire vient s'y ajouter, dont nous découvrons progressivement l'importance : l'interdépendance des espèces vivantes. Dans ce réseau qui profite à tous, chaque lignée vient s'inscrire comme un maillon indispensable. L'érosion de la biodiversité à laquelle nous assistons en ce moment, l'extinction par l'activité humaine d'un nombre sans cesse croissant de familles animales ou végétales, appauvrissent et fragilisent tout l'écosystème, dont nous sommes nous aussi un élément. En cherchant à préserver toutes les formes de vie, c'est également nous-mêmes que nous préservons.


* Note : Bien sûr, il n'y a pas que cela. Il y a aussi la mère crocodile, qui transporte délicatement ses nouveaux-nés entre ses dents pour les mettre à l'abri. Il y a les parents oiseaux qui s'affairent sans arrêt pour apporter la becquée à leurs oisillons. Il y a même des actes de solidarité chez des singes et des attitudes de compassion chez les éléphants …