Hubert Reeves

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Robustesse de la science

Émission du 27 septembre 2003

Je voudrais d'abord rappeler que le but de ces causeries, c'est de présenter des faits, des faits de la réalité, des faits à toutes les échelles, des plus grandes aux plus petites, et, à partir de ces faits, de proposer une réflexion sur cette aventure de notre existence, réflexion qui peut nous guider ensuite face aux décisions que nous devons prendre à un moment ou à un autre.

Pour connaître les faits, pour connaître la réalité, nous nous appuierons beaucoup sur les connaissances scientifiques. Les connaissances scientifiques sont, à cette heure, ce que nous avons de mieux, de plus crédible sur la réalité.

Bien sûr, il faut tout de suite faire une distinction : la science n'est pas un domaine de vérité. La science n'est pas figée, elle ne vous dit pas : « c'est cela », « ce n'est pas cela ». Ça n'est pas une révélation, c'est une démarche souple qui se développe depuis plusieurs siècles (sinon depuis plusieurs millénaires si on remonte jusqu'à son origine quelque part dans la Grèce antique). Sa robustesse lui vient du fait qu¹elle n¹est pas figée. Elle doit continuellement intégrer les nouvelles observations, et donc continuellement se remettre en question.

La science est faite à partir d'abord d'un esprit critique : on n'accepte pas n'importe quoi, on demande des preuves, on est dans le doute, on critique, on admet les théories quand elles se sont bien crédibilisées, sachant que rien n'est jamais définitif, que tout est provisoire, et que les théories les plus solidement établies peuvent être renversées (ce qui est rarement le cas, mais ça arrive), et surtout peuvent être améliorées, grâce aux observations nouvelles.

La science n'est pas la vérité, encore une fois, mais c'est ce qui nous permet de connaître la réalité avec le plus de fiabilité. On s¹appuie beaucoup sur le phénomène du « consensus ». Si, sur un point donné, par exemple sur l'évolution de la vie, ou encore sur le scénario des débuts de l'univers, il y a un consensus dans le sens que la grande majorité des scientifiques compétents pensent telle ou telle chose, on doit prendre cette opinion au sérieux. Inversement, il serait imprudent de ne pas la prendre au sérieux.

Bien sûr, ce n'est pas le fait que tout le monde pense quelque chose qui prouve que cette chose est vraie ; on a eu des exemples dans le passé. On n'est pas dans un domaine définitif et fixe, on est dans un domaine mouvant … mais qui a son propre élément de contrôle, celui de la prédictions des résultats.

Ce qui fait qu'une théorie, par exemple, va être acceptée, plutôt qu'une autre, ce n'est pas seulement le fait qu'elle explique simplement la réalité, disons « naturellement » (bien que ce mot « naturellement » soit un peu flou), c'est aussi le fait qu'elle accepte de se mettre à l'épreuve, c'est-à-dire qu'elle accepte de prévoir, de dire : « si vous faites une expérience nouvelle qui n'a jamais été faite, alors je peux à l'avance vous prévoir quel sera le résultat ». Et ce test de la réalité, une théorie qui la passe bien (ce serait l'exemple du « big bang », on y reviendra), c'est une théorie qui se crédibilise : à chaque fois qu'elle fait des prédictions qui sont ensuite confirmées, la théorie devient de plus en plus en plus crédible.

Cette possibilité de prévoir des résultats qui n'ont pas été obtenus est vraiment la pierre de touche d'une bonne théorie scientifique. Elle établit le véritable contact entre la pensée et la réalité physique.