Hubert Reeves

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Pourquoi la nuit est-elle noire ? (1)

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Émission du 11 octobre 2003

Dans cette causerie, nous revenons sur cette question très simple posée lors d'une précédente émission, question qui a fasciné et est restée sans réponse pendant des siècles : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? » ; et, dans notre contexte, nous avons répondu à cette question : « La nuit est noire parce que l'univers n'a pas toujours existé », et, donc, question pour nous : « Quel rapport peut-il y avoir entre ce phénomène de l'obscurité, de la nuit, et le fait que l'univers n'ait pas toujours existé ? ».

Eh bien, j'ai mentionné comment cette question s'était posée au début du 17ème siècle, quand on a découvert l'immensité de l'espace, qu'on a découvert l'idée que des étoiles étaient réparties plus ou moins uniformément dans le ciel, et que si l'univers était infini, ce tissu d'étoiles devrait être d'une telle intensité que le ciel serait absolument éblouissant.

On peut le dire d'une autre façon, aussi : si on suppose que l'univers est éternel et infini, que les étoiles existent depuis toujours, ces étoiles qui répandent de la lumière dans le ciel auront répandu une quantité de lumière infinie, bien sûr, puisqu'elle dure depuis un temps infini, que cette lumière, accumulée dans l'espace, aurait pour résultat une voûte céleste totalement étincelante, et que l'effet sur la Terre de cette luminosité des étoiles serait une température de milliers de degrés, tout-à-fait incompatible avec l'apparition de la vie.

Alors cette question, donc, a fasciné Copernic, au départ (qui n'a pas trouvé de réponse), Halley (le grand astronome qui a donné son nom à la comète de Halley, un siècle plus tard), et puis encore l'astronome De Chéseaux, et au XIXème siècle un astronome allemand qui s'appelle Olbers, qui, lui, a eu droit à ce que ce paradoxe de la nuit noire porte son nom : on l'appelle « le paradoxe d'Olbers ».

Eh bien, le premier qui a eu l'idée correcte de la réponse, curieusement, n'est pas un scientifique, c'est un poète : c'est Edgar Allan Poe, que l'on connaît très bien ici, parce que Baudelaire a traduit ses histoires extraordinaires. Edgar Allan Poe, qui était un esprit extrêmement curieux, écrit, dans un texte très beau, très significatif, qui s'appelle « Eureka », dans lequel on voit que Edgar Allan Poe était très intéressé aux sciences, et qu'il s'est posé cette question, et qu'il a eu cette idée, qui est tout-à-fait correcte. L'idée, il l'a dite de la façon suivante : imaginons qu'il y ait des étoiles qui sont tellement loin de la Terre que leur lumière n'a pas encore eu le temps de nous atteindre. Eh bien, ces étoiles très lointaines ne contribueront pas à la luminosité du ciel, et, total, le ciel sera moins brillant.

Alors cette idée est tout-à-fait correcte, elle implique cependant ceci, que Edgar Allan Poe ne mentionne pas, mais dont on sent que c'est présent dans son raisonnement, que si des étoiles sont si loin que leur lumière n'a pas eu le temps de nous atteindre, c'est parce que l'univers n'existe pas depuis toujours.

Dans un contexte où l'univers existe depuis toujours, le contexte aristotélicien, toutes les étoiles, quelques lointaines qu'elles soient, auraient eu le temps de nous envoyer leur lumière. Donc, le raisonnement d'Edgar Allan Poe, c'est effectivement de dire que l'univers n'existe pas depuis un temps infini, et qu'il y a des étoiles si lointaines que leur lumière n'a pas eu le temps de nous atteindre.

Et cette explication est correcte, ces deux explications, en fait : on verra qu'il y a deux explications à l'obscurité de la nuit, la première, c'est que l'univers n'a pas toujours existé, la deuxième, c'est que l'univers est en expansion, et cela, nous y reviendrons dans une prochaine causerie.