Hubert Reeves

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Émission du 25 octobre 2003

La dernière causerie nous a permis d'aborder un des points fondamentaux de notre histoire : l'expansion de l'univers. Nous avons vu comment, au début du siècle, l'astronome Hubble, mesurant pour la première fois la distance et la vitesse des galaxies (c'était la première fois qu'on avait les instruments qui permettaient de faire cela), découvre un résultat tout-à-fait étonnant, c'est que les galaxies ne sont pas fixes dans l'espace, n'ont pas des mouvements aléatoires, mais qu'au contraire elles ont un mouvement très organisé, un mouvement qu'on a appelé « expansion de l'univers », qu'on a décrit en termes, tout simplement, de dire que c'est comme si les galaxies s'éloignaient toutes les unes des autres, et s'éloignaient d'autant plus vite qu'elles sont plus loin.

Alors — nous revenons à notre question initiale : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? » —, eh bien, le rapport qu'il y a entre l'expansion de l'univers et l'obscurité de la nuit, c'est que si les galaxies s'éloignent, ça veut dire que l'espace moyen entre chaque galaxie devient de plus en plus grand. Ce qui veut dire que, par exemple, on a parlé de cette possibilité d'un univers éternel où les étoiles auraient émis de la lumière depuis toujours, eh bien, cette lumière qui, semblait-il, aurait pu remplir l'univers, on a vu qu'il y a deux raisons pour lesquelles elle ne remplit pas l'univers, d'une part, c'est que les étoiles n'existent pas depuis toujours, et d'autre part, et c'est ça qui est le point important, maintenant, c'est que l'espace dans lequel elles déposent leur lumière, plus exactement, nous dirons, leur énergie lumineuse, c'est que cet espace s'accroissant progressivement, la densité de lumière qu'elles émettent, non seulement ne devient pas infinie, non seulement n'augmente pas, mais elle diminue.

Les étoiles ne parviennent pas à compenser, par leur lumière, la dimension du vide dans lequel elles déposent leur énergie, et donc, total, dans l'univers, non seulement, la nuit est noire, mais la nuit est de plus en plus noire. Evidemment, cela n'est pas perceptible à nos yeux, cela prendra quelques milliards d'années avant que vraiment nous puissions le constater, mais la réponse à la question : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? », c'est donc d'abord parce que l'univers n'a pas toujours existé et qu'il n'y a pas des étoiles depuis toujours, et que deuxièmement, l'espace étant en expansion, la lumière de ces étoiles est diluée dans un volume de plus en plus grand, et, progressivement, la nuit devient de plus en plus noire.

Alors cela nous ramène au début de cette interrogation, nous nous étions demandés la question de « Pourquoi la nuit est noire ? » parce que nous avions en vue cette idée qui avait été prévalente pendant des siècles que l'univers était éternel, et j'ai mentionné comment cette idée, même si c'est au début de notre siècle qu'elle a été vraiment renversée, elle créait déjà un malaise important au XVIème siècle, dès qu'on a constaté que l'univers est très grand, que l'univers est peuplé d'étoiles, et que, et c'est ça qu'on a appelé après « le paradoxe d'Olbers », c'est que : comment se fait-il que, si l'univers est infini, et qu'il y a des étoiles dans toutes les directions, comment se fait-il qu'il ne soit pas très brillant.

Donc, à ce premier malaise — la nuit est noire —, qui collait mal avec l'idée d'un univers éternel, à ce premier malaise s'est ajouté un second malaise, quand on a commencé à comprendre que les étoiles, de toutes façons, ne sont pas les corps purs dont parlait Aristote, ce sont des corps qui, au contraire, ont ce qu'on appelle une naissance, une vie, une mort, façon de dire que les étoiles ne durent pas indéfiniment, qu'elles brûlent du carburant pour briller, et que le carburant qu'elles ont, qui est de l'hydrogène, n'est pas infini, et que les étoiles elles-même ont une durée limitée et qu'en ce sens, il n'y avait pas de sens à parler d'un univers éternel dans lequel des étoiles auraient brillé depuis toujours.