Hubert Reeves

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La popularité du Big Bang

Émission du 29 novembre 2003

Pourquoi la théorie du « Big Bang » est-elle si populaire, aujourd'hui, chez les astrophysiciens ?

Pourquoi est-ce la théorie que la quasi-totalité des astrophysiciens — compétents — considèrent comme étant un scénario tout-à-fait crédible des premiers temps de l'univers ? — (j'ai bien dit crédible, je n'ai pas dit certain, on n'est pas dans un domaine de certitudes, mais dans un domaine de plausibilités) —.

Eh bien, la raison est tout-à-fait la suivante : il y a eu beaucoup de résistances contre la théorie du « Big Bang », quand elle est apparue, d'abord dans les années 1920-1930, et puis qu'ensuite elle a été confirmée vers les années 1960 avec la détection du rayonnement fossile.

Beaucoup de résistances, parce que cela ne paraissait pas tout-à-fait compatible avec les idées habituelles de la science, ça semblait plutôt mythologique, ça avait quelque chose d'un peu magique, ce début, cette évolution qui ressemblait à ce qu'on raconte aussi dans beaucoup d'autres histoire saintes, comme par exemple dans la Bible ou ailleurs, ce qui fait que le Pape a lui même à un moment donné, pensé, déclaré que c'était effectivement la preuve du « fiat lux ».

Il faut dire qu'en sciences, l'important, ce n'est pas l'aspect que présente une théorie, ce n'est pas la concordance de cette théorie avec nos idées antérieures, c'est simplement la capacité d'une théorie de prévoir des résultats d'observations avant même que ces observations n'aient été faites.

Sur ce plan, la théorie du « Big Bang » est vraiment championne. C'est pratiquement d'années en années que nous observons, que nous avons de nouvelles vérifications que la théorie, devant un résultat incertain ou pas encore mesuré, fait des prédictions, que ces prédictions sont toujours, jusqu'ici, vérifiées, et quelquefois avec une précision qui est vraiment époustouflante.

Un exemple, sur lequel nous reviendrons, c'est ce qu'on appelle ce « rayonnement fossile », ce rayonnement qui, selon la théorie, a été émis quand l'univers avait environ 400 000 ans — aujourd'hui il a 13,7 milliards d'années, donc ce n'est pas le début, mais presque —, à une période où l'univers était à 3000 degrés.

Eh bien ce rayonnement, qu'on appelle un rayonnement de corps noir (c'est un mot comme ça), ce rayonnement, on le mesure aujourd'hui avec une précision fantastique, on le mesure à un très grand nombre de fréquences, il est quelque part dans le domaine des micro-ondes, domaine des radars, eh bien, les mesures de ce rayonnement (60 mesures de ce rayonnement à des fréquences différentes), s'accordent, confirment la théorie du « Big Bang », c'est-à-dire sont d'accord avec la prédiction de la théorie du « Big Bang », à une précision supérieure, à chaque fois, à 1/2 de un pour cent.

Il est très rare en astronomie en tout cas, et en sciences en général, que l'on trouve un accord aussi formidable entre des prédictions d'une théorie et les observations. Et quand ce rayonnement fossile a été observé pour la première fois en 1965, et maintenant il est étudié en très grand détail, eh bien cela a été, peut-on dire, un coup de foudre dans le ciel des physiciens et des astrophysiciens, alors que cette théorie du « Big Bang », sous des formes variées, existait déjà depuis 1930 environ, et recevait peu de crédit, on ne s'y intéressait guère, eh bien les physiciens se sont dit : si une théorie arrive à prédire avec une telle précision des résultats comme ceux-là, on ne peut que la prendre au sérieux.

On a continué ensuite à la tester de différentes façons, et chaque fois qu'on la teste, avec des tests qui auraient pu la renverser d'un coup, si par exemple on n'avait pas trouvé le bon résultat, on aurait pu dire : on la met à la poubelle, eh bien, chaque fois elle est arrivée pile.

Donc cette théorie est, pour les astrophysiciens et les physiciens, très séduisante, non pas par ce qu'elle contient — elle a encore des difficultés, elle a encore des incohérences, c'est une théorie en construction —, mais parce qu'elle a ce que demande, dans le fond, tout physicien, c'est que la théorie prédise, précisément, les observations, avant que ces observations soient faites.

Et là, cet accord est vraiment fabuleux.