Hubert Reeves

Site officiel

Chronique
précédente :

Un avenir de plus en plus végétarien ?

Chroniques radio France-Culture

Tous les samedis à 18h40
(rediffusion le mercredi suivant à 13h50)

Chronique
suivante :

Une étoile nouvelle sur l'Empire de Chine

Un avenir de plus en plus végétarien ? (suite)

Émission du 14 février 2004

L'humanité deviendra-t-elle de plus en plus végétarienne ? C'est là la question que nous nous sommes posée lors de la dernière causerie et à laquelle je vais tenter de répondre à partir de deux types d'arguments bien différents, mais qui vont dans le même sens.

J'ai développé le premier dans une causerie précédente. Il s'agit d'un fait d'ordre physico-chimique concernant l'utilisation de l'énergie solaire par les plantes et les animaux. Parce que les herbivores doivent d'abord manger des végétaux avant d'acquérir ce qui deviendra leur viande, on calcule que chaque gramme de protéine animale requiert environ dix grammes de protéines végétales. Il est beaucoup plus économique, sur le plan de l'énergie consommée, de se nourrir de végétaux que d'animaux. Face aux restrictions alimentaires que l'humanité rencontrera de plus en plus, à cause, d'une part de l'augmentation de sa population, et d'autre part de la diminution des surfaces arables à l'échelle mondiale (stérilisations, pollutions toujours croissantes des terres), ce fait a toutes chances de prendre une importance de plus en plus grande dans le régime alimentaire des humains.

Ajoutons à cela un fait d'ordre psychologique : la méfiance qu'ont engendré récemment les compagnies agroalimentaires par rapport au traitement de la viande. L'utilisation des farines animales, les épidémies de « vache folle », les diverses maladies qui ont atteint les ovins continueront longtemps à jeter un discrédit sur ces manipulations dont le seul but était d'augmenter les profits, sans souci des risques qu'elles pouvaient entraîner.

Notre second élément :

Lors d'une causerie précédente, nous avons posé la question : y a-t-il une amélioration du comportement des êtres humains au cours des millénaires ? Peut-on dire que l'hominisation de nos ancêtres simiens, nos cousins, des singes, se soit accompagné d'un phénomène d'humanisation ? J'ai donné quelques éléments qui suggèrent que oui. Qu'au travers de fluctuations terribles, il y a, à long terme, un progrès. La visions des massacres de l'Ouganda, des animaux contraints de vivre dans des conditions effroyables, de la destruction systématique de la forêt indonésienne, ne doivent pas nous faire oublier qu'il y a aujourd'hui de nombreux pays où les droits des hommes et des femmes sont respectés et défendus. Que les abus encore trop fréquents sont blâmés à l'échelle mondiale. Qu'il y a un éveil de la sensibilité quasi-universelle, d'une compassion active face à la souffrance. Et que ces sentiments ne sont pas confinés aux seuls êtres humains. La Déclaration Universelle des Droits de l'Animal, de mieux en mieux admise comme base de réflexion par l'opinion publique, la perte de popularité — chez les jeunes — de la chasse de loisir, en sont des exemples bien significatifs.

C'est en associant ces aspects de sensibilité morale par rapport aux traitements et aux meurtres des animaux, d'une part, et du faible rendement protéinique de la viande par rapport aux plantes, d'autre part, qu'il semble raisonnable de conclure que l'humanité deviendra de plus en plus à dominante végétarienne, ce qu'elle était probablement à son origine, comme semble le montrer le comportement de nos cousins primates.

Dans une optique optimiste sur l'avenir de l'espèce humaine, il semble vraisemblable qu'on assistera, du moins pouvons-nous l'espérer, à une diminution notable, à l'échelle mondiale, des élevages, au profit des cultures céréalières et de légumineuses. En d'autres mots, on assignera de plus en plus de surfaces arables aux plantes, et de moins en moins aux pâturages.

Mais qui vivra verra …