Hubert Reeves

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Émission du 1er mai 2004

Nous reprenons une fois encore la question de l'énergie pour les besoins de l'humanité.

Tenant compte du fait que l'utilisation des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) dégage du gaz carbonique qui réchauffe la planète, et qu'à l'échelle de quelques décennies leurs réserves auront été largement épuisées, il faut considérer les alternatives.

Je voudrais dire pourquoi la solution nucléaire ne me paraît pas une solution intéressante. En gros, parce qu'elle hypothèque l'avenir des générations futures. Les problèmes des déchets sont connus. Si on peut envisager de désintégrer les éléments radioactifs dont les durées sont de dizaines de milliers d'années, comme le plutonium, tel n'est pas le cas pour les déchets de plusieurs siècles. Stocker des matières dangereuses pendant de telles périodes et laisser à nos descendants le soin de les gérer me paraît être un comportement passablement irresponsable. Aucun pays n'est assuré d'une stabilité politique et économique à de telles échelles de temps. Voyez le cas des pays d'Europe de l'Est qui négligent leurs centrales et bradent leurs matières radioactives. La menace que présente cette situation devient particulièrement angoissante à l'heure ou le terrorisme se généralise dans le monde. Des bombes dites « sales » sont à portée de main de groupuscules extrémistes qui trouvent sur Internet toutes les informations nécessaires.

Voyons comment se présente la situation du nucléaire aujourd'hui, sur le plan des réserves de carburants. Celles des réacteurs dit « de troisième génération » qu'on s'apprête à mettre en chantier ne dépasseront vraisemblablement pas le siècle. Pas mieux que le pétrole. Celles de la « quatrième génération », encore au stade de l'étude du prototype pourraient durer trois ou quatre mille ans. Alors : pas de panique …

Vraiment ?

Rappelons que quatre mille ans, c'est la période écoulée depuis l'Empire égyptien, peu de choses à l'échelle de la lignée humaine. C'est pourquoi il faut favoriser les solutions pérennes, comme le solaire.

Ces remarques nous amènent à un autre problème auquel le nucléaire doit faire face. Peut-être le plus grave : la réaction des citoyens face à l'implantation de dizaines de milliers de réacteurs nucléaires. Les bombes atomiques, les accidents comme Tchernobyl, associés à la menace du terrorisme, ont provoqué une méfiance profonde, un rejet qui s'apparente à une diabolisation. Dans ce contexte, les tentatives de rassurer le public et de l'amener à accepter le nucléaire par des campagnes d'information me paraissent illusoires. Et je doute fort que nos dirigeants se risquent un jour à soumettre la filière nucléaire à un référendum, ou même à l'imposer par décret.

Il existe une expression qui résume bien le comportement des politiques par rapport à un problème trop brûlant (expression tout-à fait-appropriée ici). Ca s'appelle « pas pendant mon mandat électoral ». Plutôt que de prendre des décisions impopulaires, qui pourraient provoquer des réactions violentes et faire perdre des voix, le parti politique au pouvoir préfère « traditionnellement » ignorer la question, et faire traîner les démarches jusqu'aux prochaines élections. Le temps passant, la situation s'aggrave, et peut nous amener au bord d'une crise énergétique majeure, si entretemps on n'a pas développé considérablement l'utilisation des énergies renouvelables. C'est le scénario que je redoute particulièrement pour les prochaines décennies.