Hubert Reeves

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« Où sont-ils ? »

Émission du 4 septembre 2004

Avec constance, depuis des siècles, la question est posée : « Sommes-nous seuls dans l'univers ? ».

La vie est-elle apparue sur d'autres planètes, autour d'autres étoiles, dans ce grand univers qui ne compte pas moins de cent milliards de galaxies contenant elles-mêmes cent milliards d'étoiles ? Et sur ces planètes, hypothétiquement habitées, l'intelligence et la conscience ont-elles émergé dans l'évolution des êtres vivants qui les peuplent ? Aujourd'hui, nous devons admettre notre ignorance totale des réponses à donner à ces questions. Nous n'avons aucune donnée d'observation qui nous permettrait d'affirmer que la vie existe ailleurs que sur la Terre. Malgré de nombreuses heures d'écoute sur les meilleurs instruments, aucun message télémétré n'a été capté par nos radiotélescopes, et aucun récit de débarquement de « petits hommes verts » n'a atteint le seuil de crédibilité requis pour entraîner la conviction.

Grâce aux programmes récents de recherches scientifiques en astronomie, il est peut-être possible d'envisager une réponse dans les décennies à venir. Mais pour le moment, force nous est de reconnaître que nous n'avons aucune certitude à ce sujet.

Cela ne nous empêche pas de spéculer. De formuler de plausibles arguments et, à défaut de confirmations par l'observation, d'avoir une opinion.

L'argument populaire dit « du bon sens », la référence à une « déduction raisonnable », ou la notion de « probabilité », peuvent-ils être invoqués ?

Partant du fait vérifié que la vie est apparue au moins une fois dans l'univers (chez nous !), est-il raisonnable de penser, d'en déduire, qu'en tant de lieux possibles, elle ne soit apparue qu'une seule fois ?

Première difficulté : il faut reconnaître d'abord que la notion de « bon sens » est une notion humaine bien subjective, que toute déduction de ce type n'a de valeur que terrienne, et qu'elle ne peut, automatiquement et sans risque, être étendue à l'ensemble du monde. L'univers n'a pas à être raisonnable … Il est ce qu'il est, et c'est à notre raison de s'y adapter …

La seconde difficulté vient de l'utilisation de la notion de probabilité. Cette notion n'est applicable à un phénomène que si on en connaît toutes les propriétés. Au casino, un joueur qui lance un dé peut calculer la probabilité d'obtenir, par exemple un « trois », parce qu'il utilise un dé habituel, doté de six faces. Dans ce cas la probabilité est de un sixième. Mais si on lui procure un autre dé dont on ne lui révèle pas le nombre de faces, il lui est impossible de faire un calcul de probabilités. Il lui manque une information essentielle : le nombre de résultats possibles de son lancer.

Dans l'ignorance totale de l'ensemble et du déroulement précis des processus qui ont permis le passage de la matière inanimée à la matière vivante sur la Terre, nous devons renoncer à toute tentative de calculer la probabilité d'apparition de la vie dans un quelconque contexte planétaire.

Quels que soient la dimension de l'univers et le nombre de planètes potentiellement habitables, le fait que la vie soit apparue sur la Terre ne nous apprend rien sur la probabilité qu'elle existe ailleurs dans l'univers.

Au lieu de probabilité, il faut mieux ici utiliser la notion de plausibilité, moins mathématique et plus intuitive.

Nous poursuivrons ce filon dans nos prochaines causeries.