Hubert Reeves

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Émission du 30 octobre 2004

La vie, maintenant que nous la connaissons mieux grâce aux avancées spectaculaires des sciences biologiques, ne cesse de nous impressionner par ses qualités de robustesse et d'adaptabilité. Dans la causerie précédente, nous avons parlé des grandes extinctions qui ponctuent l'histoire des espèces vivantes depuis plusieurs centaines de millions d'années. À ces occasions, certaines espèces disparaissent tandis que d'autres, moins fragiles, survivent et s'installent dans les niches écologiques devenues vacantes.

La quatrième extinction, il y a un peu plus de deux cent millions d'années, met fin au règne des ammonites. Ce sont des mollusques avec une structure spiralée dont la forme rappelle celle des cornes de bouc (Ammon, Dieu égyptien, en possédait de magnifiques). Peu de temps après, apparaîssent les premiers dinosaures et les premiers mammifères. Parmi ces derniers, nos ancêtres de cette époque sont des petits rongeurs nocturnes qui n'évoluent pas rapidement. Au contraire, les dinosaures se multiplient, occupent bientôt tous les territoires disponibles, des régions polaires aux zones équatoriales, se diversifient, prennent toutes les dimensions, de quelques décimètres à quelques dizaines de mètres, et deviennent les maîtres du monde.

La météorite nommée Chixculub va bouleverser tout cela. Ce gros caillou d'environ dix kilomètres de diamètre, aprés avoir gravité pendant des milliards d'années autour du Soleil, quelque part entre Mars et Jupiter, se voit lentement dévié, par le champ de gravité des planètes voisines, vers notre planète. En moins de trente secondes, il traverse l'atmosphère et se « crashe » dans la baie du Mexique, dégageant une énergie équivalente à des millions de bombes atomiques de grand format. Des monceaux de pierres, liquéfiées sous le choc, s'élèvent dans l'espace et retombent un peu partout sur la Terre. L'atmosphère s'échauffe à plus de mille degrés, et les forêts s'enflamment. Des nuages de fumée sombre recouvriront pendant des mois la surface de la Terre. Les rayons du Soleil ne peuvent les traverser : interruption de la photosynthèse pour les végétaux, longue période de froid intense.

Grâce à de nombreuses recherches géologiques dans les couches rocheuses témoins de cet événement, nous pouvons maintenant reconstituer les phases du retour de la vie après le choc : les espèces re-colonisatrices et leurs successeurs.

Nous ne savons pas comment les mammifères ont pu survivre à cette catastrophe planétaire. Mais ils sont toujours là et, alors que les grands dinosaures ont disparu, ils se diversifient à une vitesse fulgurante. Leurs restes fossilisés apparaissent tour à tour dans les registres que constituent les couches géologiques supérieures à celle de l'extinction. Les premiers primates (qui vont donner les grands singes) sont déjà là, il y a 55 millions d'années, soit dix millions d'années après la collision. L'évolution se poursuit à vive allure jusqu'à l'apparition des hominiens, il y a environ cinq millions d'années et jusqu'à aujourd'hui, période où les humains sont, comme les anciens dinosaures, les rois de la Terre dont ils occupent pratiquement toute la surface.

Notons, comme l'ont fait plusieurs biologistes, le caractère heureux qu'a représenté, pour les mammifères des périodes anciennes, la chute de la météorite de Chixculub : elle a éliminé leurs adversaires de près de deux cent millions d'années, leur laissant le terrain libre. S'ils avaient pu parler, ils auraient peut-être dit tout simplement : « Ouf ».

L'auditeur attentif aura peut-être déjà une idée du contenu de la prochaine causerie.