Hubert Reeves

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La masse sombre existe-t-elle ?

La masse sombre

Émission du 30 avril 2005

Nous savons que les astres (galaxies, étoiles) qui illuminent l'univers ne contiennent qu'une fraction infime (moins de 5 %) de l'ensemble de la matière qu'héberge notre monde. La nature de ce qu'on appelle des substances sombres nous est parfaitement inconnue. Voilà, répétons-le, une des plus grands énigmes de la science contemporaine.

Nous parlerons aujourd'hui d'une de ces composantes appelée « matière sombre » dont la présence a été soupçonnée, il y a plus de 70 ans, par l'astronome suisse Zwicky, et progressivement confirmée pendant les décennies suivantes. Elle représente environ 25 % de la densité universelle.

Donnons au départ un exemple qui nous permettra de comprendre les mécanismes par lesquels on peut détecter une matière sombre. Notre Lune, nous le savons depuis Newton, ne tombe pas sur la Terre parce qu'elle est en orbite autour de notre planète. Sa vitesse de parcours sur son orbite lui procure la force centrifuge requise pour neutraliser exactement la force d'attraction gravitationnelle qui l'attire vers notre sol. Si la Terre était plus massive, la Lune, à sa distance présente, devrait tourner plus vite pour conserver cet équilibre. Ainsi, nous pouvons mesurer la masse de la Terre à partir de la vitesse orbitale de la Lune autour de la Terre. La même technique nous permet de connaître la masse du Soleil à partir du mouvement de la Terre.

La même technique peut encore s'appliquer aux mouvements des étoiles autour du centre de la galaxie. Notre Soleil, par exemple, décrit une orbite de deux cent millions d'années à une vitesse d'environ deux cent kilomètres par seconde autour du centre de la Voie Lactée.

Ici, pourtant, se situe quantitativement un désaccord majeur. On peut, en répertoriant les populations d'étoiles de notre galaxie, estimer la somme de la matière visible qui se situe entre notre Soleil et le centre galactique. On obtient alors un résultat surprenant : la masse de ces astres n'est pas suffisante pour maintenir les étoiles sur leur orbite. Il en faudrait dix fois plus. En d'autres mots, si la galaxie ne contenait que les étoiles et nébuleuses que nous y observons avec nos télescopes, les étoiles s'en échapperaient rapidement, pour s'envoler dans les espaces intergalactiques ! Leur vitesse est trop élevée pour rester en orbite autour du centre de la galaxie.

Ce même désaccord se retrouve chez les autres galaxies où de telles études ont été faites.

Ces observations nous amènent à la conclusion que les galaxies doivent contenir une autre composante, invisible celle-là, c'est à dire n'émettant pas de photons, environ dix fois plus massive que la somme des étoiles et des nébuleuses, et qui, au même titre que la matière qui nous est familière, a la propriété d'attirer les corps qui l'entourent.

Plusieurs autres observations discordantes, portant, non pas sur le mouvement des étoiles, mais sur le mouvement des galaxies elles-mêmes, au sein des amas de galaxies, nous ont amenés aux mêmes conclusions qualitatives (il y a de la matière invisible) et quantitative (il y en a environ dix fois plus que de la matière visible). La question se pose maintenant : quelle est la nature, et quelles sont les propriétés de cette composante dite de « matière sombre » ?