Hubert Reeves

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La masse sombre existe-t-elle ?

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Émission du 14 mai 2005

Nous reprenons notre bilan des différentes composantes de l'univers, face à cette image du cosmos dont nous savons maintenant que 95 % de la matière qui s'y trouve ne nous est pas visible …

Nous avons précédemment parlé de la composante dite de « matière sombre » qui représente environ 25 %. Nous abordons maintenant la composante la plus importante, appelée « énergie sombre », qui domine aujourd'hui la densité de l'univers, puisqu'elle en représente 70 %.

La découverte de son existence est un des événements les plus marquants de la cosmologie des dix dernières années. Elle était parfaitement inattendue, elle a pris tous les astronomes par surprise.

Voici l'histoire : reprenons la photo du cosmos prise par le téléscope Hubble pour en avoir une idée claire. Hubble montre que les galaxies sont animées d'un mouvement dit de récession. Elles s'éloignent toutes les unes des autres. Mais sachant que ces galaxies exercent les unes sur les autres une force d'attraction, il était légitime de prévoir que leurs vitesses d'éloignement diminuent progressivement (décélération) au cours du temps, à l'image du caillou lancé en l'air à la verticale, qui ralentit jusqu'à s'arrêter, et faire demi-tour pour retomber sur la Terre qui l'attire. Détecter cette décélération des galaxies devint un objectif prioritaire pour les astrophysiciens. Mais comment y arriver ?

L'idée est simple. On mesure la vitesse d'une galaxie, et on calcule la distance qu'elle devrait avoir franchi si cette vitesse avait toujours été la même dans le passé. On compare cette distance calculée à la distance mesurée. À cause de la décélération prévue, elle devrait être moins loin (la galaxie) que si elle n'avait subi aucune décélération. La différence devrait donc nous renseigner sur sa perte de vitesse provoquée par l'attraction que produit sur elle l'ensemble des autres galaxies de l'univers, comme la décélération du caillou nous renseigne sur la masse de la Terre qui l'attire.

Les premières observations datent de 1995. À la stupéfaction de tous, les galaxies se trouvent, non pas moins loin que prévue si leur vitesse n'a pas changé, mais plus loin. Scepticisme initial ; on soupçonne des erreurs de mesures … On teste tout, on vérifie chaque point. Rien à faire : les résultats tiennent la route. De surcroît, une autre équipe d'astronomes obtient des résultats tout à fait concordants. En science, on tient beaucoup à ce que les résultats soient confirmés par plusieurs équipes indépendantes, surtout si ces mesures introduisent des éléments importants dans le domaine de la connaissance.

La question maintenant se pose : qu'est ce qui provoque cette force de répulsion qui amène les galaxies à se déplacer toujours plus vite ? Qu'est-ce qui fait qu'au lieu de la décélération prévue, nous avons constaté une accélération ? Une force qui doit être en mesure, non seulement de neutraliser la force d'attraction entre les galaxies, mais de prévaloir ? Une telle force doit exister. C'est à partir de ces observations qu'on a été amené à introduire l'idée de l'existence d'une nouvelle composante de l'univers. On la nomme « énergie sombre ». Contrairement à la matière sombre, elle n'attire pas, elle exerce une force de répulsion …