Hubert Reeves

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Émission du 11 juin 2005

Nous savons maintenant que l'univers héberge une mystérieuse substance nommée « énergie sombre ». Cette substance, qui compose 70 % de la densité cosmique, se manifeste en accélérant le mouvement d'éloignement des galaxies entre elles. Son existence a été découverte il y a à peine une dizaine d'années par les observations de supernovæ dans les galaxies lointaines, observations qui ont permis la mesure des distances de ces galaxies, et montré que ces galaxies s'éloignent de plus en plus vite.

De cette énergie, nous ne savons qu'une chose : elle se comporte comme un champ de force exerçant une influence répulsive sur les astres ; c'est en effet comme cela que nous en avons découvert l'existence. Mais quelle peut bien en être la nature ? Aujourd'hui nous en sommes encore réduits à formuler des hypothèses.

Disons d'abord que la Théorie de la Relativité d'Einstein (1917) prévoyait l'existence hypothétique d'une telle substance. Au-delà de la matière capable d'exercer une force d'attraction (la gravitation universelle de Newton : les pommes tombent …), il pouvait exister, sans violer les lois de la Relativité, une matière capable d'exercer une force répulsive. Mais à cette époque, rien ne prouvait que cette composante, à laquelle Einstein a donné le nom de « constante cosmologique », n'était pas une « pure vue de l'esprit », rien ne prouvait qu'elle existait vraiment. On ne disposait d'aucune indication sur sa nature.

Des éléments plus précis nous ont été apportés grâce à la découverte, dans les années 1920/1930, de la physique quantique, la physique qui régit le monde des atomes et des molécules.

Cette physique, appelée à l'époque la « mécanique ondulatoire », montrait qu'à chaque particule élémentaire (photons, électrons, et autres …) est associée une onde correspondante (la lumière pour les photons).

Développée par des physiciens comme Bohr, Heisenberg, Schrödinger, Louis de Broglie, elle a rapidement connu un immense succès par sa capacité à décrire avec une extraordinaire précision, non seulement le monde atomique, mais aussi toutes les manifestations de la lumière, et bien d'autres choses encore. À tel point qu'on peut dire que toute la nature est essentiellement quantique.

Point qui nous intéresse particulièrement dans notre interrogation sur l'énergie sombre : cette théorie montre l'existence de nouvelle formes d'énergie inconnues jusqu'alors. Elle impose l'existence, pour chacune des différentes forces de la nature (gravitationnelle, électromagnétique, nucléaire, faible), de ce que nous appelons un « champ » auquel est associée une énergie qui peut être gigantesque.

Or, ces champs (quantiques) possèdent exactement les mêmes propriétés que la « constante cosmologique » introduite par Einstein : ils exercent une force répulsive sur les astres. C'est bien ce que nous cherchons.

Pourquoi ne sentons nous pas cette force répulsive, se demandera l'auditeur, puisque nous sentons si bien la force d'attraction (les pommes tombent …) ? C'est que, contrairement à la force d'attraction ordinaire — qui est, elle, d'autant plus forte que les corps sur laquelle elle s'exerce sont rapprochés —, celle-là est d'autant plus forte que ces corps sont éloignés. En pratique, elle ne se fait sentir qu'à des distances de milliards d'années-lumière. Nous n'avons donc aucune chance de la sentir avec notre corps …