Hubert Reeves

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Émission du 12 novembre 2005

Les trous noirs (1)

Imaginons que, pendant une nuit, un malin génie écrase notre Soleil entre ses mains géantes. Que sous l'étreinte, le rayon solaire d'un million de kilomètres soit réduit à dix kilomètres. À cause de cette immense contraction, la force de gravité à la surface rétrécie du Soleil serait telle que même la lumiére solaire ne pourrait s'en échapper. Elle retomberait sur l'astre comme l'eau des fontaines. Le Soleil serait devenu un trou noir !

L'idée d'un corps si condensé que rien ne pourrait s'en extraire, même pas la lumière, a été proposée au 18ème siècle, en particulier par Pierre Simon de Laplace. Mais ce n'est que dans le cadre de la théorie d'Einstein que cette idée a trouvé sa véritable formulation. La théorie atteste que de tels astres pourraient exister sans violer les lois de la physique. Ce sont donc des « êtres possibles », des « entités virtuelles ». Mais cela n'implique en rien qu'il en existe vraiment dans la nature.

Ici nous touchons un point plus général de la physique qu'il est intéressant d'exposer. Les formulations mathématiques des théories de la physique contiennent parfois des termes passibles de correspondre à des phénomènes physiques nouveaux, jusque-là inconnus. La détection possible de tels phénomènes devient alors un enjeu de grande importance pour la recherche, en gardant toutefois à l'esprit que ces termes mathématiques pourraient ne correspondre à aucune réalité physique. C'est à voir au cas par cas.

Mais revenons à notre pauvre Soleil écrabouillé entre les mains du génie malfaisant. Résultat : demain matin, pas de lever du jour. Ce serait encore la nuit. La nuit, indéfiniment. Comment pourrions-nous alors savoir si le Soleil noir est pourtant toujours là ? Simplement en observant que la course saisonnière des constellations se poursuit tout comme avant. Cette constatation suffirait à montrer que la Terre continue son orbite annuelle sous l'attraction d'un astre central : notre Soleil. En d'autres mots : même s'il ne nous envoyait plus de lumière, notre astre continuerait sans défaillir à exercer son influence gravitationnelle sur les planètes du système solaire.

Selon un schéma qui nous est familier depuis que nous avons parlé de la matière sombre dans l'univers, toute matière, qu'elle émette ou non de la lumière, exerce sur son entourage une attraction gravitationnelle qui influence les mouvements des corps de son voisinage … Et, les effets révélant les causes, nous savons détecter les trous noirs !  Indirectement, mais sûrement.

L'idée vient naturellement de nous demander si la matière sombre de l'univers ne serait pas elle-même provoquée par une population de trous noirs essaimés un peu partout. Cette hypothèse a fait l'objet d'études sérieuses qui ne l'ont pas confirmée.

Pourtant nous savons maintenant que la notion de « trous noirs » n'est pas une pure création de l'esprit. Ils existent vraiment … et ils sont même une pléiade dans notre univers. Leur mode de formation et leurs propriétés feront l'objet des chroniques à venir.