Hubert Reeves

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Émission du 15 janvier 2006

La découverte de l'existence de l'antimatière tire son origine des réflexions du physicien Dirac, à la fin des années trente, dans son effort pour concilier la théorie d'Einstein avec la physique atomique. Son équation prédisait la présence dans l'univers d'un frère jumeau de l'électron : l'anti-électron, de charge électrique positive. Cette particule a été observée pour la première fois en 1932 dans le rayonnement cosmique. Aujourd'hui, on en fabrique des milliards dans les accélérateurs de particules des laboratoires de physique nucléaire.

On devait découvrir par la suite que cette sorte de gémellité n'est pas l'exclusivité des seuls électrons et anti-électrons. Chacune des particules élémentaires de l'univers possède son double. Les antiprotons, de charge négative, alors que les protons ordinaires sont positifs, furent détectés en laboratoire dans les années 1950. Idem pour les antineutrons, tout aussi neutres que les neutrons ordinaires … On en fait également des faisceaux d'une grande intensité, qui servent à étudier les propriétés de la matière atomique et nucléaire.

Aujourd'hui, en associant les antiprotons et les antiélectrons, on fabrique des anti-hydrogènes, atomes tout à fait semblables à l'hydrogène ordinaire, sauf que les charges électriques du noyau (l'antiproton) et des particules orbitales (les antiélectrons) sont inversées.

Cette gémellité s'étend également aux neutrinos et aux quarks, dont nous aurons longuement l'occasion de parler.

Propriéte importante de la matière et de l'antimatière : les particules et les antiparticules doivent se tenir à distance pour durer. Si elles se trouvent au même endroit en même temps, elles disparaissent immédiatement. On dit qu'elles « s'annihilent ». En fait, elles se transforment généralement en lumière.

Ce phénomène dégage beaucoup d'énergie. Les masses des particules se transforment en énergie lumineuse (Rappelez vous : E = mc2). En termes de particules, la paire s'est transformée en photons (les particules de la lumière).

La lumière joue ici un rôle très différent des autres particules dont nous avons parlé : électrons, protons, etc. Les « photons » (les grains de lumière) n'ont pas de jumeaux. Il n'y a pas d'anti-photons. Plus exactement, on dit que les photons sont leurs propres antiparticules.

On peut considérer la lumière comme formant un monde intermédiaire entre la matière et l'antimatière. Une paire de particules s'annihile en lumière. Mais l'inverse est également possible : de la lumière, on peut faire naître des paires de particules et antiparticules, par un phénomène appelé « création de paires ». Les deux phénomènes : annihilation et création de paires, se produisent en grande abondance, aussi bien dans les accélérateurs terrestres que dans les étoiles et les galaxies du cosmos.

Les premiers anti-électrons, découverts en 1932, provenaient des collisions de rayonnements cosmiques dans les plaques photographiques envoyées dans la haute atmosphère. Il s'agissait effectivement d'une création de paires, dont les partenaires s'étaient signalés par des traces différentes dans les émulsions. Ils nous révélaient une propriété qui allait prendre par la suite une grande importance cosmologique : la génération d'une antiparticule s'accompagne obligatoirement de la génération de la particule correspondante. Un antiélectron est toujours associé à un électron.