Hubert Reeves

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Les atomes

Émission du 26 février 2006

Que se passe-t-il si on essaie de couper une pièce de fer en morceaux toujours plus petits ? Est-ce que les fragments obtenus sont toujours du fer ? Ou bien, est-ce que, en-deçà d'une certaine taille, ce n'est plus du fer ? Voilà des questions qui ont hanté les premiers philosophes de la nature, des siècles avant Jésus-Christ.

Nous devons la notion d'atome à Leucippe, Démocrite, Épicure et Lucrèce. Il s'agit, selon leurs inventeurs, de corpuscules indivisibles : la plus petite réalité de la matière. Tous identiques, ce sont leurs différents agencements qui rendent compte de l'apparence et des propriétés de toutes les substances de la nature.

Les chimistes des siècles derniers ont vérifié la valeur de cette intuition. L'eau, par exemple, est composée d'atomes d'hydrogène et d'oxygène qui n'ont pas, individuellement, les mêmes propriétés que celles de leur combinaison en eau. Tout au long des 18ème et 19ème siècles, on a répertorié une centaine d'atomes différents. Citons-en quelques-uns pour mémoire : hydrogène, carbone, oxygène, mais aussi fer et or. Leurs innombrables combinaisons forment toutes les substances existantes, des grains de sable aux galaxies.

Mais les atomes existent-ils vraiment, au sens littéral du mot, ou ne s'agit-il que d'une imagerie commode pour la compréhension de phénomènes observés à notre échelle ? Jusqu'à la fin du 19ème siècle, de grands esprits comme Ernst et Nietzsche rejetaient avec mépris l'existence réelle des atomes. Ce n'est qu'au début du 20ème siècle, en particulier grâce aux travaux de Jean Perrin, que la réalité des atomes comme corpuscules individuels s'impose définitivement. La technique est simple et astucieuse. On veut dénombrer les atomes dans un volume déterminé de matière, disons par exemple dans un centimètre cube d'eau. L'estimation se fait de nombreuses façons, toutes différentes, qui, pourtant, donnent toujours, à peu de chose près, le même résultat. Une telle concordance ne pourrait se concevoir si elle ne correspondait pas à la réalité.

Le mot « atome », il faut le mentionner, veut dire littéralement « insécable ». En grec, « atomos » est formé du mot « tomos » (couper), précédé du « a » privatif : qu'on ne peut pas couper. L'atome est une sorte d'ultime réalité, de particule élémentaire qui ne serait pas elle-même composée de parties plus infimes. Telle était la vision du monde à la fin du 19ème siècle.

Tout allait profondément changer au 20ème siècle. À scruter les atomes plus à fond, on arrive à décortiquer leur composition. Ils comportent un noyau central entouré d'électrons orbitaux. On peut leur enlever leurs électrons et laisser leur noyau à nu. Ce noyau, soumis à l'observation, montre qu'il est composé lui-même de particules : des protons et des neutrons que l'on peut extraire séparément. Le mot proton vient du grec « protos » qui veut dire premier. Avions-nous trouvé là le véritable atome dont rêvaient les Grecs : le corpuscule irréductible ?