Hubert Reeves

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Article paru dans Le Monde des Religions de janvier & février 2005


Intimes convictions


Entretien avec Frédéric Lenoir et Djènane Kareh Tager


Au cours de cet entretien, Hubert Reeves évoque son enfance dans un Québec très clérical et son adolescence un peu mystique, puis la naissance d'un sentiment d'enfermement qui l'amena à se poser des questions. Un stage d'astronomie à l'observatoire de l'université de Harvard lui fit rencontrer des athées, « qui plus est très intéressants ». Et depuis il s'est éloigné de la religion, et exprime avec lucidité ce qu'il a retenu de son observation du monde :

« Né catholique québécois, on m'a inculqué une certaine vision religieuse. Je serais né en Chine ou en Inde, j'aurais appris une tout autre vérité, et l'on m'aurait parlé de Bouddha et de réincarnation. Au fond, l'une des caractéristiques fondamentales de l'humanité est de chercher un sens à la vie. Est-ce seulement pour se rassurer, comme se le demandait Nietzsche, que les religions ont posé l'existence d'une transcendance à laquelle elles ont donné des noms et des visages si différents ?

À mon avis, ceci prouve que nous ne percevons qu'une infime partie de la réalité, cette perception étant elle-même influencée par la culture. J'aime beaucoup cette phrase: “Les questions sont universelles, les réponses sont culturelles”. Je demande des faits : les religions répondent par des arguments d'autorité. Or, je suis étranger à ce mode de pensée. »

À la question : « Le scientifique a-t-il présenté à l'homme des faits qui ont influencé son regard sur la question de Dieu, de l'au-delà ? », il répond :

« Des faits qui vont dans des sens opposés. Quand je me pose la question fondamentale de savoir s'il y a un projet, une intention dans la nature, je suis en proie à des arguments contradictoires. D'un côté, il y a cette fantastique odyssée du cosmos et de la vie, cette croissance de la complexité qui reste très mystérieuse, même pour le scientifique, et qui pourrait plaider en faveur d'un sens, d'une intention. En même temps, je me heurte aux camps de concentration, aux enfants martyrisés, à la présence de l'horreur dans la réalité. Je suis donc démuni pour avoir une opinion sur l'existence d'un projet. Je ne sais pas.»

Et surtout, il ne sépare pas la nature et l'homme, ce dernier étant considéré comme la conscience qui couronne l'évolution de la nature :

« Sans l'homme, la nature n'a pas de cœur. Le cœur, la compassion, sont arrivés avec l'homme. Dans un nid, les oisillons malades sont abandonnés par leur mère. Chez les humains, l'enfant malade fait l'objet de toutes les attentions. La nature est cruelle : c'est le lion qui dévore une gazelle. Elle est intelligente, capable de réalisations extraordinaires, d'assemblages moléculaires, d'évolution, mais c'est l'homme qui y a amené la dimension compassionnelle ! L'homme est une énigme : capable du meilleur et du pire, d'actes les plus sublimes et les plus épouvantables. »

Plus loin, il ajoute :

« Je voudrais demander à Dieu : “Était-il possible de faire autrement ?” Fallait-il toute cette cruauté, toute cette barbarie, toute cette souffrance ? L'horreur était-elle une nécessité ? Et par rapport à quoi ? C'est la limite de notre pensable. C'est le chat qui ne peut pas apprendre la géométrie.»

Mais à la question : « Pour vous, la vie vaut-elle quand même la peine d'être vécue ? », il répond :

« Oui. Il y a dans La Femme sans ombre, de Richard Strauss, un chœur des enfants non nés qui demandent à naître. Woody Allen dit : “La vie est horrible, mais le pire est qu'elle s'arrête”. Le pire encore est qu'elle n'ait pas existé. »

Hubert Reeves dit souvent que la qualité qu'il préfère est la compassion, et cette fois encore il la cite en évoquant le message bien connu et qu'il faudrait mieux intégrer dans nos conduites :

« Que celui d'entre vous qui est sans péché lance la première pierre. »


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