Hubert Reeves

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L'hydrogène est-il la source d'énergie du futur ?

Émission du 8 mai 2004

Dans cette série de causeries sur le problème des énergies pour l'avenir, je vais parler de l'hydrogène, souvent considéré comme un grand espoir pour les besoins futurs de l'humanité.

Au départ, il faut éviter une confusion très fréquente sur le thème de « hydrogène comme source d'énergie ». Ces mots sont employés dans deux contextes complètement différents, que je vais expliciter.

Il y a, en premier : la fusion de l'hydrogène en hélium, comme dans le Soleil et dans les bombes H. L'énergie obtenue est d'origine nucléaire : elle est dégagée par les noyaux atomiques. On parle de « fusion thermonucléaire ». Il y a aussi la combinaison de l'hydrogène et de l'oxygène pour faire de l'eau (comme dans les fusées spatiales). Cette dernière énergie est d'origine atomique ; elle est dégagée par la combinaison des atomes en molécules. Or, il n'y a pas d'hydrogène libre sur la Terre. Il faut d'abord l'extraire de l'eau. Ce n'est donc pas une énergie primaire (comme le pétrole), mais une énergie secondaire. Elle n'augmente pas nos disponibilités en énergie, mais permet de les utiliser autrement. Eventuellement pour le transport routier par exemple.

À l'inverse, la fusion thermonucléaire de l'hydrogène en hélium, qui sera notre sujet d'aujourd'hui, est bien une énergie primaire qui pourrait, en principe, répondre à la demande énergétique pour des périodes bien plus longues que la fission de l'uranium.

De plus, contrairement à la fission de l'uranium, la fusion thermonucléaire engendre très peu de déchets. Mais tout ne sera pourtant pas sans problème. À cause des neutrons rapides émis par ces réactions, les réacteurs deviendront radioactifs, et il faudra, après quelques décennies, les démanteler, tout comme les réacteurs contemporains à fission de l'uranium.

Le problème, ici, c'est que la fusion thermonucléaire, même dans sa version la plus simple, n'est pas encore au point. Loin de là. On y travaille depuis un demi-siècle, et les avancées sont importantes, mais la route est encore longue. De grands progrès seront sans doute prochainement obtenus grâce au grand projet nommé ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), dont on discute aujourd'hui du lieu d'implantation. Ajoutons que, dans la version utilisée par l'appareillage contemporain, la réaction de formation de l'hélium exige la présence d'un élément fort rare : le lithium. Ce n'est que dans une version ultérieure, beaucoup plus difficile à mettre au point, que l'on pourra parler de réserves illimitées : l'océan. Elle ne demandera que de l'hydrogène lourd.

L'enjeu n'est pas seulement de réaliser la transformation de l'hydrogène en hélium, mais de rentabiliser cette fusion. C'est-à-dire d'en extraire plus d'énergie qu'on en injecte au départ. Les difficultés techniques encore à résoudre sont de grande envergure. Si grandes que personne ne sait si on y parviendra. Et si oui, quand ? Les paris sont ouverts. Ajoutons que plusieurs des meilleurs spécialistes sont passablement pessimistes. Affaire à suivre.

On serait tenté de dire : on trouvera bien autre chose. Bien sûr. La science progresse, et de nouvelles découvertes se font régulièrement. Il n'est pas impossible, mais pas du tout certain, que de nouvelles formes d'énergie soient trouvées dans un avenir plus ou moins éloigné. Mais il paraîtrait fort peu sage de trop compter là-dessus. Il faut éviter de faire de l'avenir le repositoire hypothétique des solutions à nos problèmes contemporains. On ne peut s'appuyer fermement que sur le présent.