Hubert Reeves

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Article paru dans Vivre autrement Nº 1,
du mois de février 2007.


© Benoît Reeves
Hubert Reeves :
de l’astrophysique
à la biodiversité
 Propos recueillis par Françoise KLEIN
Après nous avoir fait rêver des étoiles, ce pédagogue hors pair veut nous remettre les pieds sur terre : conserver la grande variété des espèces qui peuplent notre terre est une condition de notre survie. Interview.


Vivre Autrement : Pourquoi défendez-vous la biodiversité ?

Hubert Reeves : Il est important de ne pas perdre de vue d’où nous venons, toute la succession d’événements qui, depuis le Big bang initial, ont eu pour effet que nous soyons là, vous et moi… Notre existence est à la fois le résultat de l’évolution et actuellement directement tributaire des autres espèces, végétales et animales. Nous sommes avec elles menacées par l’érosion de la biodiversité. Le réchauffement climatique renforce les risques… Devant ces constats qu’il est de plus en plus impossible d’ignorer, se mobiliser est devenu la seule attitude responsable.
Il s’est trouvé que le hasard a joué un rôle important et qu’au moment où je voulais m’engager davantage pour défendre le vivant, il m’a été offert de prendre la présidence d’une association dont j’étais membre sans être actif. Alors après avoir obtenu qu’elle changeât de nom et de statuts, je suis devenu président de la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs. Les assemblées générales auxquelles je participe me confortent dans ma volonté d’action. Nous défendons la biodiversité parce qu’elle est la vie. La vie n’existe que par cette prodigieuse diversité d’espèces qui interagissent. Chacune a son rôle et chaque individu est une mine de potentialités pour l’avenir… car un génome peut prendre une importance majeure pour assurer une adaptation d’une espèce au milieu en évolution. Préserver la biodiversité c’est le seul moyen pour préserver le processus d’évolution, pour maintenir la vie sur notre planète.

Quels sont les objectifs des assises de la biodiversité ?

H. R. : Quand un bateau est en perdition, les petites querelles entre les membres d’équipage sont oubliées. Quand un péril menace, on ne demande à personne sa carte de parti, ses idées sur tel ou tel sujet, la solidarité l’emporte.
Les assises « Ensemble pour la biodiversité » ont montré que des hommes et des femmes en charge de mandats électifs, appartenant à des camps différents, savent surmonter les clivages parce que le souci de l’avenir les unit. Ils sont des humains avant d’être des partisans. Je trouve cela admirable. Je ne sais pas si je leur ai dit, mais je devrais… C’est Al Gore qui rappelle qu’en chinois, le mot crise est représenté par deux idéogrammes : l’un pour « danger » et l’autre pour « opportunité ». Quelle que soit la crise, l’opportunité de s’unir pour mieux combattre le danger est une chance qui s’offre. Et plus la crise est grave, plus il faut saisir l’opportunité de s’unir.
Le premier résultat de ces assises est de prouver l’aptitude à l’union pour une cause majeure : celle de nos enfants et petits-enfants. Bien sûr, l’union nécessite un dépassement de soi permanent et il restera à prouver qu’elle n’est pas éphémère. Tous les pas sont difficiles, mais le premier est fait. Avancer, c’est cela, faire un pas à la fois… Je suis pour la politique des petits pas même si j’en aimerais parfois de plus grands…

Quels sont les dangers de la chasse telle qu’elle est pratiquée actuellement ?

H. R. : La chasse recouvre des réalités différentes et il faut savoir de laquelle on parle. Il faut de plus ajouter que ce n’est qu’une des activités qui peuvent nuire à la biodiversité.
Les pesticides et la perte d’habitats liée à une urbanisation mitant les campagnes sont des problèmes affectant la faune, tout comme l’introduction de certaines espèces exotiques. Dans mon pays, le Canada, existe pour les Inuits par exemple, une chasse de subsistance parfaitement légitime. Donc, parler de chasse nécessite de la localiser.
Si vous parlez de la France, la chasse de loisir a une moindre légitimité que la chasse de régulation parfois nécessaire.

Hubert Reeves
Astrophysicien
Président de la Ligue ROC
26, rue Pascal
75005 Paris
Sites :
roc.asso.fr
biodiversite2007.org

Notre Ligue ROC s’est attachée à faire respecter par les voies de la justice administrative les périodes de reproduction des oiseaux et obtenu, avec la LPO et France Nature Environnement, qu’on ne chasse plus les oiseaux d’eau à partir du 14 juillet… la biologie des espèces doit primer. Mais on chasse des espèces dont les populations déclinent. Et c’est donc un critère qui n’est pas pris en compte comme il conviendrait.

À chaque fois je pense au pigeon migrateur américain qui existait par milliards d’individus et dont il n’existe plus aucun survivant tant l’espèce fut chassée. Lorsque le tir fut interdit, il était trop tard pour enrayer l’extinction. Bien sûr, on ne chasse plus au canon comme ce fut le cas pour cette tourte (autre nom du pigeon migrateur) mais cela montre qu’il faut savoir, à temps, soustraire à la chasse des espèces en déclin.

Photo d’Hubert Reeves dans un jardin
© Benoît Reeves

Nous avons une maison commune : la Terre

Pouvons-nous défendre l’environnement dans notre vie quotidienne ?

H. R. : Une goutte d’eau épargnée par chacun des 60 millions de Français, cela fait un beau volume. Et si c’est un litre épargné par chacun de ceux qui se brossent les dents sans laisser couler l’eau, ça devient important.

Oui, chacun peut participer à économiser des ressources naturelles… en même temps le porte-monnaie s’en portera mieux. Les dépenses sont évitées aussi en renonçant à des produits nocifs pour le jardinage ou l’entretien de la maison. Pareillement, des économies s’accumulent en redécouvrant la marche pour aller chercher le pain quotidien ou conduire les enfants à l’école quand elle n’est pas trop loin… Et c’est bon pour la santé de tout le monde. Bien sûr, ces bonnes habitudes dans la vie privée sont excellentes.

Il faut néanmoins que des dispositions d’esprit identiques entraînent des changements de comportements des décideurs économiques et politiques, de tous ceux qui, sans toujours s’en rendre compte, agissent à la légère…
On ne peut plus être inconséquent sans compromettre directement le sort de nos descendants.

L’avenir de la planète est-il en danger ?

H. R. : La planète elle-même n’est pas en danger : elle continuera de tourner autour du Soleil. Ce sont ses habitants qui le sont. Et on n’a pas de planète de rechange, de Terre-bis… En aurait-on une que le déménagement des Terriens serait impossible à organiser.
Chacun aime aménager sa maison pour y vivre bien. Nous avons une maison commune : la Terre. Ménageons-la. Pour qu’il y fasse encore bon vivre pour nos descendants. Les périls existent, mais nous en prenons conscience. Le premier pas est fait, ou presque… Il y en a d’autres à faire… C’est vrai qu’il ne faut pas remettre à demain ce que l’on peut faire dès aujourd’hui.

Quelles leçons tirez-vous de l’observation des cieux dans votre perception des enjeux de la biodiversité ?

H. R. : La vie s’est installée sur notre planète. Elle s’y est développée sous de multiples formes et pour le moment, c’est, à notre connaissance, la seule qui dispose des atouts nécessaires pour que l’aventure humaine continue.
Cette aventure est liée à celle de la biodiversité. Nous sommes donc en grande responsabilité. Tout se joue peutêtre maintenant. Et si on ne peut en être sûr, il faut faire comme si on l’était. C’est plus prudent pour les enfants de nos enfants.

Comment concilier respect de l’environnement et développement économique ?

H. R. : Se soucier de l’avenir suppose un progressif, mais rapide renoncement à des énergies fossiles.
Par contre, cela exige un développement des énergies renouvelables. Tout mouvement de retrait d’une activité s’accompagne de l’émergence et de la montée en puissance d’une autre. La nature humaine ne peut être niée. C’est pourquoi je ne suis pas du tout persuadé qu’offrir « la décroissance » comme idéal puisse entraîner les foules. Et je ne suis pas de ceux qui prônent un certain ascétisme qui n’est d’ailleurs applicable qu’aux nantis. Le génie humain a produit des chefs-d’oeuvre. Il est certainement capable d’en produire d’encore plus fantastiques… conciliants économie et écologie.
L’enjeu actuel est considérable et le cerveau humain a des ressources énormes. Seront-elles à la hauteur ? 


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