Hubert Reeves

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Animaux « nuisibles » et « mauvaises » herbes

Émission du 3 janvier 2004

L'emploi des mots, les psychologues nous le répètent depuis longtemps, influencent nos prises de position et notre comportement. Il y a des expressions qu'il importerait d'extraire de notre vocabulaire, à cause de leurs connotations négatives injustifiées.

Dans un contexte écologique, je veux évoquer ici les expressions « mauvaises herbes » et « animaux nuisibles ». Ce sont, bien sûr, de vieilles expressions, nées dans des contextes aujourd'hui dépassés. Leur utilisation prolonge un état d'esprit que nous avons toutes raisons de vouloir faire disparaître, à cause des implications négatives nocives qu'ils perpétuent.

Les vivants existent de leur plein droit, et n'ont pas à se justifier d'exister. Les mots « espèces nuisibles » et « mauvaises herbes » ne sont que le reflet d'un préjugé séculairement ancré, selon lequel les plantes et les animaux sont là pour nous servir ou nous réjouir, et que nous avons sur eux un droit discrétionnaire. Ces mots sont la traduction directe de notre égocentrisme (ou anthropocentrisme), de notre ignorance et de notre étroitesse d'esprit. Les animaux considérés comme nuisibles ne le sont que par nous , et il en est de même des herbes prétendues mauvaises.

En réalité, nous ne sommes qu'une espèce parmi tant d'autres. Ajoutons, en passant, que, face aux extinctions multipliées d'espèces dont nous sommes aujourd'hui responsables, nous mériterions, seuls, le qualificatif d'espèce hautement nuisible à l'harmonie et à la préservation de la biodiversité.

Les études scientifiques des dernières décennies ont profondément transformé notre regard sur la nature et sur les organismes vivants qui cœxistent avec nous. Sur notre planète, toutes les espèces vivantes sont intégrées dans des écosystèmes dont elles sont toutes dépendantes, et dans lesquelles elles jouent un rôle spécifique. Les populations sont maintenues en équilibre par un jeu permanent de reproduction et de prédation.

Quelles sont les implications de ces réflexions dans le monde concret dans lequel nous vivons ?

La prolifération de certaines espèces peut devenir indésirable par rapport aux objectifs des êtres humains : cultures, élevages, préservation de l'habitation et du territoire. Souvent ces proliférations sont dues à l'élimination, par notre zèle intempestif, des prédateurs naturels qui contribuaient à l'équilibre des populations.

C'est ici que l'attitude globale face à la nature doit intervenir. Elle imposera ses exigences sur le choix de l'action à entreprendre. Une intervention peut-être justifiée, à la condition qu'une étude scientifique appropriée ait désigné sans ambiguïté l'espèce ou les espèces responsables du problème.

De même, il importe de s'assurer que la nature de l'intervention ne va pas causer de nouveaux problèmes. En ce sens, l'utilisation de poisons est particulièrement déconseillée à cause de l'impact de ces produits sur d'autres organismes non visés, et par la pollution chimique qu'elle entraîne. Les appâts toxiques déposés dans les étangs pour combattre les ragondins ou les anti-coagulants destinés aux campagnols, mais tuant des rapaces, en sont de regrettables illustrations.

Mais revenons à notre question de vocabulaire. Que suggérer pour remplacer ces expressions ?

Au lieu de « mauvaises herbes », on peut dire par exemple « herbes sauvages ». Dans notre jardin, nous utilisons « plantes non invitées ». Et l'on peut remplacer « animaux nuisibles » par « animaux indésirés ».

Chacun ici peut faire preuve d'imagination. Toutes les suggestions sont bienvenues …

Cette importance donnée au vocabulaire n'est pas, soulignons-le, injustifiée, loin de là. C'est tout notre rapport à la nature qui est en jeu. Et dans le contexte de la crise planétaire que nous traversons, une modification profonde de ce rapport devient une nécessité fondamentale.