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Le niveau de la mer

Émission du 10 janvier 2004

Aujourd'hui, nous allons parler d'un sujet qui revient souvent dans le cadre des préoccupations environnementales : le niveau de la mer.

Il est toujours intéressant, dans le contexte de ces préoccupations, de commencer par un historique de la situation. Le passé est souvent (mais par toujours) de bon conseil.

Mentionnons d'abord que notre planète est, depuis environ un million d'années, le siège d'une séquence de glaciations et de périodes tièdes. Environ une glaciation à chaque cent mille ans. On admet aujourd'hui que la cause de ce cycle est d'origine astronomique. Il est provoqué par une variation de la lumière solaire atteignant la surface de la Terre (l'insolation). Cette variation est elle-même provoquée par une lente oscillation de la forme et de l'orientation de l'orbite de la Terre autour du Soleil. L'humanité (pour une fois …) n'y est pour rien …

La dernière glaciation s'est achevée il y a environ vingt mille ans. À cette époque, la température moyenne à la surface de la Terre était d'environ dix degrés Celsius, soit cinq degrés de moins qu'aujourd'hui (15 degrés). Le niveau de la mer était 120 mètres plus bas que maintenant. La banquise recouvrait le nord de l'Amérique et de l'Europe.

Aujourd'hui, grâce à des mesures prises par satellite (en particulier Topex-Poseïdon), on peut mesurer le niveau moyen des océans terrestres avec une précision bien supérieure au centimètre. Les mesures montrent que le niveau maritime s'est élevé de plus de trois millimètres par an entre 1993 et 1998. Depuis 1900, il a augmenté de 10 à 25 cm.

Quelle est la cause de cette élévation du niveau océanique ? La plus importante est la simple dilatation thermique. Comme presque toutes les substances (pensez au fer par exemple), l'eau voit son volume s'accroître quand on la chauffe. À cela s'ajoute la fonte des glaciers aussi bien dans l'Antarctique qu'au Groënland. (Notons en passant que la fonte des glaces flottantes comme les icebergs n'élève pas le niveau de la mer, principe d'Archimède oblige). Un autre facteur vient s'ajouter qui rend l'interprétation plus compliquée : les mouvements verticaux des plaques continentales. Mais il ne joue vraisemblablement pas un rôle majeur dans notre histoire.

Le réchauffement de l'atmosphère depuis 1950 est largement responsable de l'élévation des 10 à 25 cm mentionnés auparavant. L'effet se fait déjà sentir de façon importante sur les territoires de basse altitude. Plusieurs îles océaniques sont menacées, aussi bien par cette montée de l'eau que par l'accroissement de la fréquence et de la violence des cyclones — dont l'effet de serre est également responsable —, et en conséquence par la hauteur des vagues qui déferlent sur les terres.

Et l'avenir ? Il dépend de l'augmentation de la température, et donc des émissions de gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane, etc). L'élévation pourrait atteindre plusieurs mètres avant la fin du XXIe siècle. Des centaines de millions de personnes seraient forcément délogées, au Bangladesh, en Hollande et dans la plupart des grandes villes situées au bord de la mer (New York, Shanghai, Bombay, etc).

Est-ce un simple scénario futuriste ? Déjà, en ce moment, dans les ports des îles Vanuatu en Océanie, des insulaires, qui ne sont nullement responsables du réchauffement, attendent leurs visas pour déménager en Australie. Sans mauvaise volonté manifeste de notre part, nous, nos voitures et nos chauffages, nous les avons chassés de leur territoire natal. Aux dernières nouvelles, l'Australie cherche à se défaire de ces territoires pour n'avoir pas à héberger ces victimes.

Comme toujours, c'est « pas dans ma cour ».