Hubert Reeves

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La conférence de Cancun

Émission du 17 janvier 2004

Dans cette série de causeries, nous nous sommes donnés comme objectif une suite de réflexions sur les évènements de la réalité. L'avenir de l'humanité reste un de nos principaux sujets de préoccupation, puisque, on peut le dire sans exagération, cet avenir est en question. Il importe sur ce plan d'être conscient de ce qui se passe, et de signaler aussi bien les bonnes nouvelles que les mauvaises.

L'évènement que je veux commenter aujourd'hui représente une mauvaise nouvelle. C'est l'échec récent de la conférence de Cancun au Mexique. Cette conférence avait, entre autres objectifs, celui d'obtenir des accords sur les échanges commerciaux à l'échelle mondiale. Rien n'a été obtenu. La Conférence, en fait, s'est terminée, comme on dit, en queue de poisson. Je voudrais mettre en évidence la gravité de cet échec pour l'avenir de l'humanité.

Rappelons d'abord que les actes terroristes de plus en plus nombreux et leurs conséquences souvent terribles constituent de graves menaces pour l'avenir de l'humanité. Les progrès des technologies et des communications rendent les entreprises de ravages et de destructions délibérés de plus en plus faciles et de plus en plus redoutables. Je pense en particulier à la possibilité de disperser des germes provoquant des épidémies de maladies infectieuses. Mais aussi à la dispersion des stocks de matériaux radioactifs qui peuvent servir à faire ce qu'on appelle « des bombes sales ». Des dizaines de milliards de dollars sont dépensés chaque année pour prévenir ces actes et ces attaques. Pourtant, les spécialistes sont généralement sceptiques quant à l'efficacité des moyens mis en œuvre pour prévenir de tels événements.

Il est intéressant de mettre en parallèle la multiplication des démarches terroristes dans le monde avec l'accroissement dramatique de la disparité des richesses entre les humains. L'écart entre les pays riches et les pays pauvres, entre les revenus des plus nantis et des moins fortunés, ne cesse d'augmenter d'année en année. Or, la misère est le terreau du terrorisme. Ceux qui n'ont rien, qui n'ont que désespoir et haine, sont les plus passibles de s'investir dans des actions suicidaires. L'activité des extrémistes palestiniens nous en donne tous les jours de tristes exemples.

Que s'est-il passé à Cancun ? Quel rapport avec la misère et le terrorisme ? Prenons un exemple : la culture du coton. Certains pays pauvres, en particulier le Mali, sont à la recherche de marchés étrangers pour exporter leur moisson. Mais, problème : les États-Unis, la Commission Européenne et le Japon accordent à leurs agriculteurs des subventions généreuses qui leur permettent de produire à meilleur prix que les Maliens. Les réductions de ces subventions, qui auraient permis l'ouverture des marchés aux Africains, ont été refusées à Cancun. Une étude de la Banque Mondiale a montré qu'un accord de réduction des tarifs et des subventions aurait rapporté à ces pays plusieurs centaines de milliards de dollars dans la prochaine décennie.

Pourquoi cet échec ? Par égoïsme, bien sûr, de la part des pays nantis (États-Unis, Europe, Japon). Mais aussi par incohérence de comportement. On a lamentablement manqué là une occasion de redistribuer les richesses dans le monde, et en parallèle de réduire la menace terroriste contre laquelle on investit par ailleurs des sommes considérables. Le Sénat américain vient d'y consentir 87 milliards de dollars …

En fin de compte, c'est une fois de plus l'espèce humaine qui trinque. C'est un nuage sombre de plus sur son avenir.