Hubert Reeves

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Les limites de la démocratie

Émission du 29 mai 2004

Nous sommes tous des démocrates. Churchill disait : « C'est le plus mauvais système de gouvernement, excepté tous les autres ». Nous y tenons tous, et nous nous battrons pour le conserver.

Pourtant, il nous faut bien reconnaître que, face à la crise planétaire contemporaine, le système démocratique est confronté à ses propres limites. Limites qui pourraient entraîner les plus graves catastrophes, jusqu'à provoquer notre élimination de la planète, si nous n'arrivons pas à les repousser rapidement.

Le problème le plus urgent est sans doute celui du réchauffement planétaire, dont les conséquences sont dramatiques : canicules, inondations, tempêtes, sècheresses. L'année 2003, une des plus chaudes depuis plus d'un siècle, nous a rappelé la gravité de la situation, sonnant ainsi l'alarme sur ce qui nous attend si nous ne réagissons pas rapidement.

L'augmentation accélérée de la température est majoritairement due à l'émission de gaz carbonique par l'industrie humaine. Nous en avons maintenant la quasi certitude, basée sur les meilleures études scientifiques. Le transport routier (voitures et camions) en est responsable à la hauteur de 35 %.

Et comment réagissons nous ? Regardons autour de nous. La consommation moyenne des véhicules est passée depuis cette année de 10 à 11 litres/km, en particulier à cause de l'accroissement rapide des voitures énergivores de type 4 × 4. Le transport des marchandises par camion est en croissance par rapport au transport ferroviaire, qui émet de dix à vingt fois moins de gaz carbonique par kilomètre. La canicule de l'été 2003 a été l'occasion d'un usage très important de climatiseurs qui augmentent jusqu'à 30 % la consommation d'essence, et l'émission de gaz carbonique auquel s'ajoutent des oxydes d'azote largement responsables des « pics » d'ozone dans la basse atmosphère.

Pour freiner effectivement ce réchauffement, il faudrait diminuer de 60 % les émissions de gaz carbonique (les accords de Kyoto, encore en litige, ne les diminueraient que de 6 %, un tout petit premier pas qui n'est pas encore effectué). Cela paraît pourtant évident qu'il faudrait déjà décider d'en faire d'autres !

Que font, que peuvent faire les gouvernements, ceux qui sont en mesure de prendre les décisions qui devraient s'imposer ?

Notons au passage que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires n'apporterait pratiquement aucune aide à ce sujet pour les prochaines décennies au moins. Or le problème est d'une toute autre urgence.

La situation présente est bien résumée par la réponse que fit à ce sujet l'ex vice-président des USA, Al Gore, à l'ex-président Bill Clinton : « Le minimum requis pour sauver la planète est bien supérieur au maximum possible pour ne pas perdre les prochaines élections ». En d'autres termes, les échelles de temps de la démocratie (cinq à sept ans) sont manifestement trop courtes pour intégrer et gérer les problèmes contemporains. Quel gouvernement se risquerait à prendre les mesures nécessaires au freinage du réchauffement (par exemple taxations proportionelles aux émissions de CO², étiquetage énergétique des véhicules, etc.), face à l'impopularité évidente de telles mesures et au risque de perdre les prochaines élections ?

L'acronyme NIMTOO, pour « Not In My Term Of Office » (pas durant mon mandat électoral) décrit bien l'attitude généralement adoptée par les hommes politiques de nos démocraties lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés majeures : les laisser en héritage au prochain gouvernement.

Cette politique de l'autruche face au problème du réchauffement serait dramatiquement irresponsable. Elle mettrait en cause l'avenir de l'humanité, le sort de nos enfants et de nos petits-enfants.

« Gouverner, c'est prévoir »

Confrontée à un tel tragique destin, la politique arrivera-t-elle à prévoir à long terme pour mieux agir dès à présent ?

On ne peut que l'espérer !