Hubert Reeves

Site officiel

Chronique
précédente :

La responsabilité des publicitaires

Chroniques radio France-Culture

Tous les samedis à 18h40
(rediffusion le mercredi suivant à 13h50)

Chronique
suivante :

La surpêche

La responsabilité des publicitaires (suite)

Émission du 5 février 2005

Dans la causerie précédente, nous avons parlé de l'importance de la publicité dans notre société contemporaine. Son auditoire est mondial. Par l'image, ses messages atteignent pratiquement toutes les populations humaines, même les plus reculées et les plus illettrées.

On entrevoit facilement la situation dramatique dans laquelle un agent de publicité, doué d'un sens éthique et d'un sentiment de responsabilité face à l'avenir de l'espèce humaine, se trouve aujourd'hui. Son métier, l'audience qu'il a, le placent en première ligne de la situation planétaire. Il est tiraillé entre deux forces contradictoires : la pression de la demande des entreprises, et sa conscience personnelle de l'impact négatif des éléments qu'il accepte de publiciser.

Après avoir abordé la semaine dernière la question du transport routier, et de son impact sur la température de la planète par l'émission toujours croissante de gaz carbonique, nous abordons un autre problème majeur de l'humanité aujourd'hui : la croissance rapide de l'obésité.

Phénomène typique de notre époque, tandis qu'un nombre toujours croissant de personnes maigrissent à cause de la famine dans plusieurs pays du monde, un nombre également croissant souffre d'obésité, en Amérique, en Europe, et même en Chine. Les spécialistes n'hésitent pas à employer le mot « épidémie ».

La situation est particulièrement dramatique aux États-Unis, où plus de 50 % des gens souffrent de surcharges pondérales. Ce nombre a doublé depuis 1991.

Le poids excessif augmente, entre autres, le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer et de diabète. Le diabète a notamment augmenté de 76 % chez les trentenaires, et de 33 % dans la population générale américaine, entre 1990 et 1998.

En 1991, l'obésité était à l'origine d'au moins 300 000 décès, chaque année, outre-Atlantique. Seul le tabac ferait plus de morts.

Face à ce problème la publicité joue encore un rôle dramatiquement négatif. Pendant les périodes de publicité à la télévision ou au cinéma, observez, dans cette optique, ce qui passe devant vous ! Les friandises au chocolat succèdent aux pâtisseries sucrées. L'une après l'autre, ces images vous incitent à absorber toujours plus de lipides et de calories, en contradiction flagrante avec les normes d'une nourriture saine, et surtout, contraire à réduire le poids du corps. Résultat : les étalages des épiceries, des stations d'essence et des distributeurs de nourriture regorgent de friandises bourrées de sucre qui font saliver les passants. Et les calories (plus le cholestérol) s'additionnent.

La situation du publicitaire responsable est ici particulièrement difficile. Quelle entreprise pourrait avoir intérêt à financer des spots publicitaires qui combattraient l'obésité (sauf les vendeurs de régime maigrissant) ?

Bonne nouvelle : un « Bureau de Vérification de la Publicité » a été mis en place, dont le rôle est de vérifier que les publicitaires évitent les messages qui incitent à dégrader l'environnement, ou qui sont faussement écologiques.

Mais l'idéal serait que les publicitaires, conscients de l'importance majeure de leur rôle dans notre monde, conscients également de la situation de crise que nous traversons aujourd'hui, développent eux-mêmes la vigilance qui s'impose dans le choix des messages qu'ils accepteront de transmettre. Par moments, cela pourrait exiger presque de l'héroïsme.