Hubert Reeves

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Émission du 10 décembre 2005

La force des convictions (1)

La carrière d'Albert Einstein comporte deux périodes bien distinctes : l'une extrêmement fructueuse, l'autre quasiment stérile.

Dans la première, du début du 20ème siècle jusqu'à 1925 environ, Einstein élabore les deux grandes Théories de la Relativité qui vont bouleverser toute la physique, et en particulier servir de fondement à la cosmologie dans le cadre du Big Bang. Il énonce son interprétation de l'effet photoélectrique qui va jouer un rôle important dans le développement de la physique quantique. Il donne une interprétation du mouvement des particules dans un fluide (mouvement dit « brownien ») qui va crédibiliser la thèse de la constitution atomique de la matière.

Par la suite, et pendant les 30 dernières années de sa vie, il se fixe des objectifs irréalistes : construire à partir des connaissances de l'époque une théorie « ultime » de la matière, écrire une équation unificatrice de tous les comportements physiques.

Comment peut-on comprendre ce changement ? Il est vraisemblablement dû à un aspect fondamental de la personnalité d'Einstein : sa confiance illimitée en la validité de sa façon de voir le monde. Einstein est profondément convaincu de la toute puissance de la rationalité. Pour lui, fidèle à la tradition philosophique installée depuis deux millénaires par Platon et Pythagore, et expressément énoncée par Galilée, le monde est totalement compréhensible en termes de concepts, d'idées claires et de mathématiques. Le principe de causalité règne en maître : une cause produit un effet et un seul ; un effet est provoqué par une cause et une seule. Le hasard n'est qu'un alibi camouflant notre ignorance. Comme Simon de Laplace, il croit que l'avenir est complètement déterminé. De plus, il est convaincu de la réalité du monde au sens le plus ordinaire du terme. Selon lui, le monde existe objectivement en dehors de nos perceptions.

De telles convictions vont exercer sur lui une profonde influence. Elles vont lui insuffler un dynamisme mental extraordinaire. D'abord, cela lui permettra, malgré des problèmes ardus, d'élaborer et de mener son projet jusqu'à l'achèvement. Seul, dans son bureau de fonctionnaire à Berne, il atteindra son but : modifier notre vision du temps, de l'espace, de l'énergie et de tous les mouvements provoqués par la force de gravité.

Mais, paraphrasant Guy de Maupassant à propos de la vie, on pourrait énoncer la phrase suivante : « La réalité n'est jamais ni aussi simple ni aussi compliquée qu'on croit ».

La Théorie de la Relativité explique d'une façon simple le comportement de la matière soumise à la gravité. Le comportement bizarre de l'orbite de Mercure, les déviations de la lumière et l'existence des trous noirs peuvent se déduire d'une équation fondamentale qui relie la courbure de l'espace à la matière et à l'énergie qu'il héberge. Les mathématiques sont complexes, mais l'idée qui leur est sous-jacente est lumineusement simple. Dans ce contexte, la réalité n'est pas aussi compliquée qu'on le croyait.

Mais alors … à suivre dans la prochaine chronique.